La vie derrière les barreaux

CRIMINALITÉ. Enseignant au Collège Shawinigan en techniques d’intervention en milieu carcéral, Roger Deschamps a été directeur de prison à Bordeaux, Sept-Îles, Trois-Rivières, Joliette et Baie-Comeau pendant 12 ans. Il a bien accepté de lever le voile sur la vie derrière les barreaux en entrevue avec l’Hebdo du Saint-Maurice.

Au Québec, les prisons accueillent deux clientèles: celle en attente d’un procès et l’autre ayant reçu une sentence de moins de deux ans. «Nous devons être prudents dans notre généralisation de la dangerosité des prisons. Un individu ayant commis un meurtre par exemple peut être un ou deux ans dans un établissement provincial avant son jugement. Son degré de dangerosité et sa condition physique/mentale seront évalués s’il doit être transféré vers une prison fédérale, où il passera plus de deux ans. Les risques de récidive et de danger s’il devait s’évader seront également à l’étude», a expliqué Roger Deschamps.

Au cours de sa carrière, cet ancien gardien et directeur de prison est intervenu lors de bien des situations. «Les gens en détention ne respectent pas les règles à l’extérieur de la prison et il arrive souvent que c’est la même chose à l’intérieur. Des bagarres et agressions, ça arrive. Le métier de gardien est simple et complexe à la fois. Il doit utiliser la force nécessaire pour son travail, mais ce qui est complexe, c’est de déterminer jusqu’où va cette force. Il y a toujours une gradation des moyens utilisés. Tu commences par un échange, par la suite tu fais venir l’équipe d’intervention et dans 90% des cas, la menace d’utiliser des gaz ou du poivre de Cayenne fait effet».

Est-ce que le nombre de gardiens de prison est suffisant par rapport à celui des prisonniers? «En 2003-04, nous étions 600 agents pour 1700 détenus à Bordeaux, pour environ 150 agents à la fois. C’est la plus grosse prison au Canada. C’est un nombre suffisant dans 99% des cas. Si nous ne parvenons pas à régler une situation, nous pouvons faire appel à des effectifs additionnels, comme lors d’une émeute», a-t-il illustré.

Un meilleur traitement que les gens défavorisés?

Le mythe des détenus traités aux petits oignons lors des repas est souvent véhiculé à travers les médias. «Les menus sont de qualité, que ce soit au point de vue de la variété, de la quantité ou du contenu. Il n’y a pas de viande de deuxième qualité. Ça demeure de la nourriture institutionnelle, mais c’est dans certains cas, elle est mieux contrôlée au niveau de l’équilibre alimentaire qu’à la maison. Nous respectons les croyances religieuses et les allergies nécessitant un menu particulier», a mentionné M. Deschamps.

Selon le centre de détention, un prisonnier coûte entre 100 et 130$ par jour au gouvernement. «Tout dépend du point de comparaison, mais si on regarde par rapport aux plus pauvres de la société, il est probable que les prisonniers mangent mieux. La nourriture est distribuée en quantité et variété suffisante. Est-ce qu’ils devraient être considérés comme les plus démunis de la société? Je n’en suis pas convaincu. Le tribunal décide de leur incarcération, pas de leur enlever leurs libertés. Tu ne peux les empêcher de prendre leur douche. Ils ne sont pas dans le luxe, ni dans la pire des pauvretés».

La technologie n’est pas présente en prison, à l’exception de la télévision, dont le câble est payé par les prisonniers. «Ils n’ont pas accès au monde extérieur par des ordinateurs ou cellulaires intelligents. Ils ne sont pas autorisés, mais on sait que des cellulaires sont en circulation. Certains sont même en mesure de mettre leur statut Facebook à jour. Nous sommes dans un monde où les gens aiment défier la loi. Ils ont accès à un téléphone, qui implique des frais d’un dollar au destinataire. Nous ne surveillons que si nous avons des raisons de croire que l’appel pourrait être en lien avec le milieu criminel».

Ce qu’il à dit… à la deuxième page.

 

Ce qu’il a dit…

 

À propos du système actuel

«Il est meilleur qu’à mes débuts en 1970. L’introduction de la charte des droits et libertés a permis d’encadrer de manière plus légale les personnes incarcérées. Est-ce qu’il y a place à l’amélioration? Oui. L’idéal est toujours de trouver l’équilibre entre ce que tu aimerais faire, ce que tu peux faire et ce que tu as les moyens de faire».

À propos des films et séries télévisées

«Une série comme Unité 9 est très bien faite, mais c’est le condensé en une semaine de ce qui m’a pris cinq ans à vivre. Nous vivons le même genre de situation. Les producteurs doivent maintenir l’intérêt du public».

À propos de la négligence au travail des gardiens de prison

«Une très faible minorité vient ternir la réputation de tous. Il m’est arrivé d’en congédier pour différents motifs, comme des absences répétées, de la dépendance à des substances, faire pénétrer des objets interdits ou une relation amoureuse».

À propos des contrevenants aux règlements de la prison

«Les conséquences changent entre chaque établissement. La décision est prise par un comité de discipline. Le prisonnier sera souvent dans une cellule dans un autre secteur et aura un horaire différent. Dans les cas où il faut être le plus sécuritaire, la personne passera 23h sur 24 dans sa cellule. Elle aura toujours le droit à une heure à l’extérieur, à une douche et à trois repas. Le tout est dans l’optique de modifier les comportements et non d’y aller avec une punition pour se venger».