«Vent du large»: panser les blessures de l’enfance

CULTURE. Louise Lacoursière fait replonger ses lecteurs cinq années après la fin du troisième tome La Saline en les transportant de Cap-de-la-Madeleine à Montréal dans son tout nouveau roman intitulé Vent du large.

Cette fois-ci, on se promène dans le Trois-Rivières de 1897, ainsi que dans le Québec urbain et rural. Cette fois-ci, on suit les enfants Ricard, maintenant devenus adultes, hantés par l’image de Narcisse Ricard, leur père incestueux, mort dans des circonstances tragiques.

Benjamin, journaliste spécialisé en politique internationale à La Minerve, tente de cacher son attirance pour les hommes. Grâce à lui, on se transportera aussi du côté de l’Europe, alors qu’il garde un œil sur le procès d’Oscar Wilde et sur l’Affaire Dreyfus.

Sa sœur Marie-Ange épouse un médecin qu’elle seconde. Quant à elle, Rébecca vit des moments difficiles. Éprouvée par la mort de sa fille, elle en vient à s’automutiler. Confrontée à la maladie mentale, elle fait un séjour au sanatorium du Dr de Blois à Cap-de-la-Madeleine.

La santé mentale d’hier à aujourd’hui

«C’est plus rare qu’on aborde la maladie mentale à cette époque, surtout qu’on n’en parlait pas comme aujourd’hui. Il y avait une honte qui y était rattachée. C’était très caché dans les familles. On a parfois l’impression qu’on a tout inventé et que nos problèmes sont nouveaux, mais en consultant les journaux de l’époque, on voit que les drames étaient les mêmes, que l’on parle de violence dans les familles ou du nombre de meurtres et de suicides. Mais c’était caché», raconte Louise Lacoursière.

Par le biais des réseaux sociaux, l’écrivaine trifluvienne a même pu entrer en contact avec le petit-fils du Dr de Blois. Cela lui a permis de mieux cerner sa personnalité.

«Le Dr de Blois était en faveur du holisme, c’est-à-dire dire le traitement sans médicament en privilégiant l’exercice et une saine alimentation. À l’époque, les médecins guérissaient tout avec des petites pilules. Le Dr de Blois était marginal pour l’époque. Il est allé étudier en Europe avec Freud. Au sanatorium, il traite les épuisements nerveux et l’intoxication à l’alcool et à la morphine», explique Louise Lacoursière.

«C’est qu’on retrouvait de la morphine dans tous les médicaments. Alors, les gens se soignaient, mais risquaient de développer une dépendance à la morphine. D’ailleurs, l’électrothérapie et l’hydrothérapie ont été implantées au sanatorium par le Dr de Blois. C’est une incursion extraordinaire dans ce milieu», ajoute-t-elle.

Le roman aborde aussi la question de la régulation des naissances et de l’avortement, à cette époque où simplement donner de l’information sur la régulation des naissances était passible de deux ans de prison. Quand un médecin qui pratiquait un avortement, il risquait la prison à perpétuité s’il était dénoncé.

Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’avoir lu les tomes de La Saline pour apprécier l’histoire, les lecteurs de la première heure se plairont à retrouver d’autres personnages, comme Judy et Simon.

On se rendra à leur herboristerie. Par la même occasion, on en apprend davantage sur la vision amérindienne de l’homosexualité à l’époque, alors qu’elle était criminelle dans la société en général.

Entre information rigoureuse et émotion

Sur le plan historique, toutes les informations contenues dans le roman ont été rigoureusement vérifiées. L’écrivaine trifluvienne a effectué de nombreuses recherches, notamment dans les journaux de l’époque, pour bâtir le contexte de son histoire. Elle a également pu compter sur le soutien de l’historien Yannick Gendron. Le défi aura été de doser habilement le romanesque à l’aspect historique.

«C’est important pour moi que le lecteur ait confiance et sache que tout le côté historique a été vérifié et revérifié. Je veux que le lecteur apprenne sans se sentir à l’école. Pour ce livre, il y avait aussi un danger d’anachronisme au niveau du langage auquel il fallait faire attention. Mais l’émotion doit primer. C’est un beau défi», note-t-elle.

Et l’on se rend compte que les choses ont beaucoup changé depuis le temps.

«Les femmes étaient considérées comme des mineures, de sorte qu’elles ne pouvaient pas être les gardiens légaux de leurs enfants. Il faut se rendre compte que ça ne fait pas si longtemps que les droits des femmes sont reconnus. Je voulais que les lecteurs comprennent les ravages de l’inceste. Je veux que les victimes cessent de se sentir coupables», lance l’écrivaine.

Un dernier livre en lien avec l’univers de la Saline paraîtra au cours des prochaines années. Celui-ci racontera l’histoire de Marie-Louise, la fille d’Antoine Peltier. Le récit se déroulera principalement dans le Shawinigan de 1910 et son effervescence de l’époque, tout en se permettant quelques incursions du côté de Montréal et de Québec.

«Shawinigan, c’est ma ville. C’est en quelque sorte un retour aux sources», conclut-elle.

La Saline, l’intégrale

Les trois tomes de La Saline sont maintenant disponibles dans une édition intégrale qui est notamment en vente en France, en Belgique et en Suisse. Le manuscrit reçoit déjà de beaux échos du Vieux Continent. Louise Lacoursière rêve de voir sa saga sur Ann Stillman recevoir le même traitement.

Vent du large | Louise Lacoursière | Disponible en librairie