« C’est une partie de ma vie qui est ici »

PASSION.  Quand Roger Trépanier s’est engouffré la première fois dans le pit du garage de Ressort Grand-Mère, le Canada et l’Union Soviétique se défiaient sur la glace dans ce qu’on a appelé la Série du siècle. Cinquante ans plus tard, l’homme de 68 ans enfile encore chaque matin son sarrau de mécanicien avec la même passion pour son travail.

Une carrière d’un demi-siècle n’est pas anodine, mais l’accomplir pour le même employeur, voilà un exploit que ses patrons Yvon et Rémy Genest ne pouvaient passer sous silence. « Des gars comme lui, on n’en retrouvera plus jamais, lance Yvon Genest. Quand on lui a fait une petite fête surprise en septembre, la première chose qu’il nous a dite, c’est qu’il était prêt pour un autre 50 ans. Il est dévoué comme ce n’est pas possible et travaille comme si c’était sa propre business. »

De son côté, le principal intéressé regarde en arrière et s’étonne non pas de l’exploit, mais plutôt du temps qui passe trop vite. « Il n’y a pas un matin où je me suis levé en me disant : Encore une maudite journée. Non, j’ai toujours aimé travailler. Ce que j’aime, c’est que chaque journée est différente. Tu as un problème, tu essaies de le résoudre. Je ne me serais pas vu sur une chaîne de montage », explique Roger Trépanier.

Travailler en chantant

Quand le jeune homme de 18 ans a débuté sa carrière professionnelle, les camions ne comptaient que six roues au lieu de 10 et le ministère des Transports était en pleins travaux de prolongement de l’autoroute 55 jusqu’à Shawinigan et Grand-Mère. « On travaillait le vendredi soir jusqu’à 20h et le samedi toute l’avant-midi, ça n’arrêtait pas », sourit le sympathique gaillard à l’œil toujours vif.

À la réception de Ressorts Grand-Mère, l’attachée administrative se glisse dans la conversation. « Roger, il n’est jamais de mauvaise humeur. Il arrive le matin en chantant sa chanson de Noël, sinon ce sont des airs d’opéra. Durant les pauses, il va dehors et nous dit comment c’est beau. C’est vraiment un homme heureux », complimente-t-elle.

Roger Trépanier reçoit ces fleurs avec l’humilité et le bon sens de ceux qui ont vu neiger. « Quand tu arrives de bonne humeur, c’est une bonne partance pour commencer la journée. Et arriver marabout, ça ne serait pas bon pour le moral des autres. » Le secret d’une carrière de 50 ans assure-t-il, c’est de ne pas se projeter trop en avant. « Je prends ça une journée à la fois et je ne tiens rien pour acquis. C’est comme ça que ça passe plus vite. »

Un employeur, trois propriétaires

Durant ses 50 ans chez Ressorts Grand-Mère, le sexagénaire a travaillé sous trois propriétaires différents : Origène Héroux et son fils Henri-Paul; André Trottier et Richard Baril; et enfin depuis dix ans, les frères Genest. « M. Héroux me connaissait quand j’allais à l’école. Il avait des autobus scolaires et comme j’étais costaud, il me demandait de faire respecter la discipline durant les trajets. Il m’avait dit de venir le voir quand je voudrais du travail », se rappelle celui qui a complété son cours de mécanique d’ajustage sur l’avenue de la Station à Shawinigan.

« À cette époque-là, ce n’est pas pareil comme aujourd’hui. C’est toi qui devais prouver ta valeur, que tu étais vaillant. Je donnais tout pour être capable et c’est ce que je fais encore aujourd’hui », explique l’expérimenté mécanicien.

Et la retraite ne semble pas faire partie des plans de Roger Trépanier. « Je ne me vois pas arrêter. Tant que j’aurai la santé, je vais continuer. Mais quand je me mets à penser à ces 50 ans, ça me dit que je ne suis plus très jeune », lance-t-il en riant. « Je prends des billets de loto comme tout le monde, mais j’aimerais mieux gagner avec toute la gang que de remporter le gros lot tout seul et de voir les autres continuer à travailler. Tu sais, c’est une partie de ma vie qui est ici », termine le mécanicien avant de redescendre dans son pit