Les marques invisibles de la violence

Les 12 jours d’action contre les violences faites aux femmes se déroulent du 25 novembre au 6 décembre sous la thématique ­Guérir pour transformer, transformer pour guérir : ­Déracinons la violence. L’objectif de ces journées est notamment de dénoncer le sexisme, les violences sexuelles, le racisme ou encore l’homophobie qui touchent les femmes du monde. Car les violences faites aux femmes laissent des marques pas toujours visibles.

Au ­CALACS, l’intervenante ­Marie-Soleil ­Desrosiers rencontre des femmes qui ont été victimes de violence à caractère sexuel : agression sexuelle, viol, inceste, attouchements, cybercriminalité sexuelle, voyeurisme, exhibitionnisme, harcèlement sexuel, etc. Elle est à même de constater que les conséquences des agressions à caractère sexuel sont multiples, que l’on pense aux troubles du sommeil et cauchemars, la migraine, une grossesse non désirée ou des blessures physiques diverses.

Une agression peut aussi entraîner une dépression et des idées suicidaires, une faible estime de soi, des peurs récurrentes, mais aussi avoir des impacts sur la sexualité et sur ses relations sociales.

«  ­Les femmes et adolescentes victimes d’une agression à caractère sexuel peuvent nous appeler. Il y a une première rencontre d’accueil et d’évaluation pour évaluer le besoin de la personne, si elle a des objectifs définis. Puis, on donne un suivi individuel de 15 rencontres avec une même intervenante. On l’accompagne dans ses besoins. Par exemple, si son besoin est un accompagnement judiciaire, on peut l’aider à remplir un formulaire. On répond aux dommages collatéraux  », explique ­Marie-Soleil ­Desrosiers, intervenante au ­CALACS de ­Trois-Rivières.

Les rencontres permettent aussi de travailler sur le processus de reprise de pouvoir des victimes, un processus qui varie d’une personne à l’autre.

«  ­Quand on est victime d’une agression à caractère sexuel, on nous enlève nos droits. On n’a pas choisi ça. Dans une démarche de reprise de pouvoir, c’est important de reprendre le contrôle de sa vie selon les valeurs de chaque personne. Pour certaines, c’est de porter plainte au criminel. Pour d’autres, c’est d’entreprendre une démarche avec une intervenante et parler des conséquences et de travailler ­là-dessus  », ­explique-t-elle.

«  ­Certaines ont développé un sentiment de culpabilité, du doute, un sentiment d’impuissance ou éprouvent de la confusion, ajoute ­Mme ­Desrosiers. Comme 85 % des agressions sexuelles sont commises par une personne connue de la victime, ça peut venir soulever des enjeux en lien avec la dynamique familiale ou les relations avec ses proches.  »

Au final, c’est d’aider la victime à se reconstruire, à retrouver une identité qui lui est propre. «  ­Il y a un avant l’agression sexuelle. Il y a le pendant, puis la vie après pour se reconstruire. Si la personne vit un stress ­post-traumatique, on lui donne des outils pour être fonctionnelle.  »

Déresponsabiliser la victime

Bien qu’il y ait eu plusieurs avancées dans les 15 dernières années, il y a encore un grand cheminement à faire pour déresponsabiliser la victime et responsabiliser l’agresseur, remarque l’intervenante du ­CALACS.

Dans une démarche de reprise de pouvoir, c’est important de reprendre le contrôle de sa vie selon les valeurs de chaque personne. Pour certaines, c’est de porter plainte au criminel. Pour d’autres, c’est d’entreprendre une démarche avec une intervenante et parler des conséquences et de travailler ­là-dessus  », ajoute ­Marie-Soleil ­Desrosiers. 

«  ­La majorité des intervenants, que l’on pense aux avocats, aux procureurs, aux policiers, aux juges ou encore aux intervenants dans les organismes communautaires, sont plus sensibilisés et formés à recevoir les victimes. On a levé un tabou et on a tracé des lignes noires sur des zones grises afin de nommer les réalités sous les violences à caractère sexuel, note ­Mme ­Desrosiers. Je constate que la population avance avec les mouvements. Je crois que les institutions formelles auraient ­peut-être avantage à s’actualiser. Le processus judiciaire au criminel pourrait aussi être plus ajusté.  »

Elle dénonce cependant certaines zones grises, telles que la pornographie qui peut cacher des agressions sexuelles et l’exploitation de mineurs. Elle remarque également une zone grise en ce qui a trait à la cybercriminalité sexuelle. » ­Par exemple, on ne peut pas harceler une personne sexuellement dans la rue, mais on sent une zone grise sur les réseaux sociaux en ce sens où c’est perçu négativement, sans être criminel  », souligne ­Marie-Soleil ­Desrosiers qui intervient de plus en plus auprès de victimes de cybercriminalité au ­CALACS.

«  ­On gagnerait à s’actualiser au niveau de la cybercriminalité, ­poursuit-elle. Il serait important de réfléchir, comme société, sur ce qu’on veut sur nos réseaux sociaux et éclaircir ces zones grises. Être une victime via les réseaux sociaux peut créer peu de conséquences parce que la victime n’est pas touchée sur son intégrité physique, mais il y a beaucoup de conséquences, car ce sont des milliers de personnes qui ont accès au contenu. La victime peut alors avoir peur de sortir ou être en hypervigilance, se demander qui a vu le contenu, qui le sait, qui va le voir. C’est difficile de continuer sa vie normalement.  »

Les proches aussi

Le ­CALACS offre aussi des services d’accompagnement téléphonique, de cours d’autodéfense, mais aussi de soutien pour les proches des victimes de violences à caractère sexuel.

«  ­On peut offrir de l’aide aux proches, car les violences à caractère sexuel touchent aussi les proches, les conjoints et conjointes, les amis, les membres de la famille. C’est important d’avoir de l’aide comme témoin actif qui peut aider la victime. On peut donner des moyens pour bien accompagner la victime, mais aussi donner une occasion de ventiler et de s’exprimer librement  », indique ­Marie-Soleil ­Desrosiers.

Les proches peuvent aussi jouer un rôle dans le processus de guérison et de reprise de pouvoir de la victime. Mme ­Desrosiers mentionne que l’entourage peut être présent, sans juger, pour vérifier le besoin de la personne.

«  ­Ce n’est pas parce qu’on a été victime d’une agression qu’on doit en parler tous les jours à tout le monde, ­note-t-elle. Ce n’est pas nécessairement ça le besoin de la personne. Ça peut aussi d’être là pour se changer les idées, sortir faire une activité, parler d’autre chose. Par contre, le proche doit aussi déterminer sa propre limite puisqu’il n’est pas un psychologue non plus.  »