Un héros marqué à vie

HONNEUR. Même si les événements se sont produits il y a plus d’un an et demi, c’est avec une boule dans la gorge que l’homme de Grand-Mère René Dessureault raconte comment il a pu sauver la vie d’un homme le 25 septembre 2016 dans le Nord-du-Québec en compagnie de Bernard Broyer.

Le Grand-Mérois a reçu la mention d’honneur au civisme le 29 mai dernier par le gouvernement du Québec pour son acte de bravoure.

René Dessureault en compagnie de la ministre de la Justice du Québec, Stéphanie Vallée.

Alors qu’il replonge dans ses souvenirs, M. Dessureault doit faire une pause et prendre une bonne respiration pour ne pas laisser échapper une larme.

Un groupe de cinq personnes se trouvait dans un chalet au lac Kuashkuapishiu au nord-ouest du réservoir Manicouagan pour une partie de chasse. «On était au chalet du pilote Philippe St-Pierre que je considère comme mon gars. On allait souvent dans le bois ensemble. Philippe allait porter deux personnes à un autre chalet sur une île du réservoir Manicouagan», raconte M. Dessureault.

Du quai, MM. Dessureault et Broyer le regardent partir avec son hydravion. L’appareil décolle au-dessus du lac, prend de l’altitude, entame un virage vers la gauche, puis s’incline brusquement vers la droite. Les deux hommes le perdent de vue; un panache de fumée s’élève.

«Ça prit une demi-heure en chaloupe pour se rendre sur les lieux. Ç’a été une demi-heure assez capotante. Quand on est arrivé, j’ai vu un gars près d’un ruisseau complètement brûlé avec la peau qui pendait. J’ai demandé où étaient les autres dans l’avion et il m’a répondu qu’il ne le savait pas. C’est en entendant sa voix que j’ai su que c’était le pilote Philippe. Je ne l’avais pas reconnu.»

«Il y a toujours des flashs et les images sont fortes» -René Dessureault

Ses vêtements sont fondus, ses mains et son visage sont noirs, des lambeaux de peau pendent de ses membres et il n’a plus de cheveux. En état de choc, il est conscient et très agité. Les deux hommes l’embarquent dans la chaloupe et René Dessureault le ramène au camp.

On ressent que le héros revoit les scènes lorsqu’il partage le récit. «Je suis encore suivi par un psychologue. Il y a toujours des flashs et les images sont fortes», confie-t-il.

Bernard Broyer tente de localiser les passagers. À travers la forêt, il marche jusqu’au bord de l’hydravion en feu. Dans les décombres, il voit un corps inerte, replié sur lui-même, le pied gauche arraché. Après quelques recherches infructueuses pour retrouver l’autre ami, il retourne près du lac attendre René Dessureault.

Entre-temps, ce dernier est arrivé au chalet. Il découpe les vêtements du blessé et l’enveloppe de couvertures. Il appelle les secours avec une radio satellite avant de revenir sur les lieux de l’accident. Les deux amis font de nouvelles recherches, sans succès. Les munitions contenues dans l’hydravion se mettent alors à exploser. Devant le danger, ils regagnent le camp pour s’occuper de leur ami. Ils gardent le blessé éveillé, lui parlant constamment.

Vers 17 h, l’organisation Air Médic arrive au camp, mais ne peut poser l’hélicoptère. Deux infirmières en descendent et prennent soin du pilote. Vers 22 h, un hélicoptère de l’armée vient chercher le grand blessé et les deux infirmières. Laissés à eux-mêmes, les deux hommes passent la nuit au chalet. Ils seront hélitreuillés par la Sûreté du Québec le lendemain soir. «Je me réveillais souvent pour aller vérifier si je ne voyais la lumière d’un survivant de l’autre côté du lac. Le lendemain, je me suis fait à l’idée que les deux autres gars étaient morts. Il y avait un des deux gars qui était proche de moi», lance-t-il avec un trémolo dans la voix.

De l’hôpital de Sept-Îles, le pilote est transporté à Québec, où il séjourne plusieurs mois, subissant de nombreux traitements et greffes. Son épouse et son bébé viendront le rejoindre de Gatineau. Sans la vaillance de Bernard Broyer et René Dessureault, le pilote aurait succombé à ses blessures.

«On a encore de la misère avec ça. C’est en parlant que ça peut aider», termine-t-il.