Trouver la routine dans le chaos

Alors que le Québec tout entier jongle tant bien que mal avec le coronavirus depuis deux mois maintenant, chacun affronte la crise différemment. Pour certains, c’est la maladie, le deuil. Pour d’autres, c’est la solitude et l’ennui. Pour les personnes vivant avec une déficience intellectuelle, c’est l’incompréhension et l’anxiété, qui mènent inévitablement à l’épuisement de leurs proches.

On le sait très bien: le confinement, c’est difficile pour tout le monde. La situation l’est d’autant plus pour ces personnes vivant avec une déficience intellectuelle (DI) ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA).

«Ils ne comprennent pas! Nous on a de la misère à mesurer l’ampleur de tout ça, eux encore moins!», explique tout simplement Michèle Lafontaine, présidente de l’organisme J’ai mon appart’.

Habitués à une routine rigoureuse, comprenant par exemple l’école, les plateaux de travail et les autres activités, ces personnes doivent composer avec un quotidien bouleversé, ce qui n’est pas évident. Il n’y a plus d’horaire, plus d’activités. De quoi être déboussolé.

«C’est très abstrait tout ça, un virus, la contamination, devoir maintenir deux mètres de distance, ne pas pouvoir avoir de contact avec des amis, ajoute-t-elle. Donc nos personnes vivent beaucoup de stress et de détresse psychologique.»

Une situation pesante

Quand le temps n’est pas à la crise, les familles ont accès à des ressources pour se débrouiller, même si ce n’est pas toujours facile. Si des parents gardent leur enfant (adulte) à la maison, ils ont tout de même accès à des journées de répit, à des intervenants du CIUSSS, etc. Pour d’autres familles, dont la condition de la personne ne permet pas de la garder à la maison, elle demeure en famille d’accueil et ils la voient régulièrement.

Mais tout a été bouleversé en un claquement de doigts quand la pandémie s’est déclenchée. Plusieurs familles ont même été confrontées à un choix déchirant: garder la personne à la maison à temps plein ou la laisser en famille d’accueil et ne plus la voir pendant plusieurs semaines. «Quand ces personnes sont en ressource (famille d’accueil), ce n’est pas pour rien, rappelle Michèle Lafontaine. C’est parce que ce n’est plus possible de les garder à la maison. Certains ont des contraintes, trouble de comportement ou autre. Il y a un grand impact sur les parents.»

La détresse se fait sentir notamment auprès de parents vieillissants qui se retrouvent en plein confinement, 24h sur 24, 7 jours sur 7, avec cette personne qui réagit fortement à cette absence de routine.

Pour continuer de les soutenir, les suivis avec leurs intervenants se font par appel vidéo. Même si cela apporte un coup de main, Michèle Lafontaine constate que ce n’est pas suffisant. «Même si le CIUSSS et tous les intervenants font leur possible pour pouvoir supporter les personnes, ce que ça donne dans le réel c’est très difficile pour eux.»

Aucune aide à l’horizon

Cofondateurs de l’organisme J’ai mon appart’ avec Michèle Lafontaine, Josée St-Pierre et son conjoint Jean-François Morand vivent aussi des semaines difficiles. La sœur de ce dernier, Marie-Christine, demeure avec eux depuis quelques années. Âgée dans la cinquantaine, elle attend avec impatience d’avoir son propre appartement supervisé.

Si le quotidien de Marie-Christine s’appuie sur une routine bien établie, comprenant entre autres son école, son travail à l’école du Rocher de même que ses journées à l’ADI et le répit, elle comprend mal cette pandémie qui l’isole à la maison.

«On a établi une certaine routine à la maison, ça fonctionne tous les jours, mais ce n’est pas suffisant. Ça lui manque beaucoup de socialiser avec les autres, ses amis, son école», explique Josée St-Pierre. «Elle comprend bien les deux mètres de distance, mais tout le reste, on a beau lui expliquer, ce n’est pas du concret pour elle.»

De semaine en semaine, cela devient de plus en plus difficile. L’impatience se fait sentir, l’impolitesse et parfois même l’agressivité. «Ce qui manque, c’est surtout le contact humain et la routine», constate Mme St-Pierre.

Elle déplore qu’aucune annonce gouvernementale n’ait été faite pour leur venir en aide. «Ce n’est vraiment pas évident. On n’a pas d’aide du tout, ajoute Mme St-Pierre. Je me dis que s’ils rouvrent les garderies, ils pourraient bien rouvrir les ressources de répit.»

Le projet d’appartements supervisés est toujours vivant

Rappelons que J’ai mon appart’ est un projet de 12 appartements supervisés qui verra le jour sur les terrains de l’ancienne école Saint-Jean-Bosco, dans le secteur Grand-Mère. Il est destiné à des personnes de plus de 18 ans vivant avec une DI-TSA, qui ont le potentiel d’autonomie pour vivre en appartement tout en bénéficiant de services adaptés à leurs besoins.

La construction est prévue au printemps 2021 et les futurs locataires devraient mettre le pied dans leur appartement supervisé à compter de l’automne 2021. Pour le moment, la présidente de l’organisme affirme que cet échéancier n’est pas repoussé, mais qu’il faudra assurément réévaluer la situation lorsque la crise sera derrière nous.

«Notre projet est encore vivant, et nécessaire plus que jamais!», lance Michèle Lafontaine.

On sait que la réalisation du projet J’ai mon appart’ s’élève à près de 3 millions de dollars, dont près de la moitié doivent être amassés par le milieu, par des activités de financement et des dons et des partenariats. Si on était en très bonne voie et que la communauté était généreuse et solidaire à la cause, il reste encore 500 000$ à amasser. On comptait beaucoup sur des activités de financement prévues ces semaines-ci, comme la vente de chocolats fins, le Grand McDon, un tournoi de golf, etc.

«On a perdu des activités de financement malheureusement. Mais on va redoubler nos efforts quand on sera en mesure de reprendre! On ne lâche pas!», promet Josée St-Pierre.

Pour plus d’informations sur l’organisme ou pour contribuer, rendez-vous au www.jaimonappart.ca ou sur la page Facebook/J’ai mon appart’.