Alain Gravel persiste et signe

Sur le blogue qu’il signe sur le site d’Enquête, le journaliste Alain Gravel défend le travail des journalistes Pierre Marceau et Hugo Lavallée à propos du reportage diffusé jeudi dernier et portant sur les liens entre la Ville de Shawinigan et les Cataractes de Shawinigan. Voici le contenu de son billet.

J’ai travaillé pendant quelques années en région au début de ma carrière.

Il n’est pas toujours facile de rester indépendant comme journaliste lorsqu’on vit dans un petit milieu. On croise le maire au dépanneur. On est assis au restaurant à une table voisine du président de la chambre de commerce, etc.

Lorsqu’on critique un peu trop sévèrement les autorités, les pressions peuvent être vives sur les dirigeants des médias pour faire changer les choses.

Je peux donc facilement me mettre dans la peau de mes collègues de la Mauricie, le journaliste Hugo Lavallée et le réalisateur Pierre Marceau, qui ont signé la semaine dernière à notre émission une enquête sur le nouvel amphithéâtre de Shawinigan et son financement public.

Ce qu’on retenait essentiellement de leur enquête, c’est que l’histoire de cet aréna était le cas typique d’un financement public où le privé empochait les profits à travers une OSBL (organisation sans but lucratif).

Évidemment, les dirigeants de la ville et des Cataractes ne sont pas contents. Et ils ne se sont pas gênés pour le communiquer à Hugo, un jeune journaliste qui a beaucoup d’avenir.

Le président des Cataractes, Réal Breton, a décidé de se plaindre directement au journaliste en lui disant au téléphone : « Le dossier ne restera pas comme ça, soyez certain de ça. Vous ne salirez pas notre nom en faisant des reportages comme ça. […] Je ne répondrai plus à aucune de vos questions, et je ne vous donnerai plus jamais d’entrevue. »

En général, une personnalité publique se doit de répondre à toutes les questions et n’a pas à faire le tri des « bons » et des « mauvais » journalistes. Même lorsque ça chauffe.

Ce n’est pas tout. Le maire de Shawinigan, Michel Angers, qui a donné une entrevue à notre journaliste durant son enquête, est allé jusqu’à exercer des pressions pour qu’on reprenne le tout, n’étant pas satisfait de sa performance. Trente minutes après que notre équipe a quitté l’hôtel de ville, il a personnellement téléphoné à celle qui dirige les services français de Radio-Canada dans la région de la Mauricie, Nancy Sabourin, pour lui demander de tout reprendre à zéro. Le lendemain, il lui a laissé de nombreux messages à cet effet. Mme Sabourin a accepté que l’entrevue soit reprise, mais que la première ne soit pas effacée et puisse être utilisée.

Mais ça va plus loin. Le maire Angers a tenu une conférence de presse le lendemain de la diffusion du reportage en déclarant qu’il était « pathétique que deux journalistes régionaux, M. Marceau et M. Lavallée, dépeignent [comme ça] la ville de Shawinigan sur tout le réseau français de Radio-Canada. […] Décidément, y’a des gens qui ne vivent pas sur la même planète que nous. […] C’est triste, pathétique et, à la limite, mesquin. »

Depuis quand le mandat d’un journaliste est-il de donner une bonne image de sa région?

Ce qu’il y a aussi d’étonnant, c’est que le président des Cataractes, Réal Breton, a finalement accepté durant cette conférence de presse de dévoiler des chiffres qu’il ne voulait pas donner publiquement durant la confection de notre reportage. D’ailleurs, le ton de toute cette conférence de presse a été très agressif.

Depuis jeudi, notre équipe a été la cible d’une certaine forme d’intimidation, par des menaces à peine voilées.

Ça ne s’arrête pas là. Des commerçants de Shawinigan ont indiqué leur intention de boycotter Radio-Canada dans l’achat de leur publicité. Et demain (le 3 avril), on annonce la tenue d’une manifestation organisée par la chambre de commerce locale pour protester contre notre reportage. Le thème de la manifestation est : « J’aime Shawinigan! »

Dans les grandes villes, il est très rare que des pressions aussi directes soient exercées sur des journalistes ou les directions des salles de nouvelles des grands médias. Il y en a, mais ça se fait, disons, plus subtilement. À la place, les gens qui ne sont pas contents de notre travail déposent des plaintes à l’ombudsman de Radio-Canada ou au Conseil de presse du Québec, ou alors ils nous poursuivent carrément en justice.

On le voit, en région ça se fait différemment. Là où ça dépasse les bornes, c’est lorsqu’on tente d’intimider un journaliste pour la seule et bonne raison qu’on n’a pas aimé son reportage. Surtout qu’à ce jour, personne n’a encore contesté les faits exposés dans l’enquête de Hugo et de Pierre.