Création des Cégeps: souvenirs de profs

ÉDUCATION. Dans le cadre du 50e anniversaire de la création des Cégeps au Québec, l’Hebdo a voulu en apprendre davantage sur l’implantation de ce système d’éducation dans le paysage shawiniganais. Nous avons rencontré deux enseignants du Collège Shawinigan maintenant à la retraite qui ont vécu les premiers balbutiements de l’enseignement collégial: Paul Caron et Fabien Béchard.

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Âgé de 85 ans, Paul Caron a été enseignant en mathématique pendant 20 ans au Collège, de sa création en 1968 jusqu’à sa retraite en 1988. Auparavant, il était professeur à l’Institut de technologie de Shawinigan.

De son côté, Fabien Béchard, 70 ans, a enseigné la philosophie à partir de l’année 1971-1972, jusqu’à sa retraite en 2005. Il venait tout juste de terminer ses études à l’UQTR.

Lors de l’annonce de la création des Cégeps en 1967, seulement une douzaine était dans les plans du gouvernement. C’est suite à une pression du milieu politique que le Cégep de Shawinigan a été annoncé pour l’année 1968.

«S’il n’y avait pas eu de pression politique, le Cégep de Shawinigan aurait vu le jour plus tard qu’en 1968. Suite aux pressions, ç’a été accepté assez rapidement par le gouvernement», se rappelle M. Caron.

«C’était une nécessité pour Shawinigan d’avoir son Cégep. Il y avait beaucoup d’usines, et la ville était en expansion», ajoute M. Caron.

Le Collège Shawinigan d’hier à aujourd’hui

1968-1969: 951 étudiants; 11 programmes d’études (4 préuniversitaires et 7 techniques); 85 enseignants; 147 employés; 7 équipes sportives en 1970

2017-2018: 1250 étudiants; 15 programmes d’études (5 préuniversitaires, 10 techniques et un Tremplin DEC); 166 enseignants; 320 employés; 10 équipes sportives

M. Béchard affirme qu’on entrait dans une nouvelle ère avec les Cégeps. «L’objectif des Cégeps n’était pas seulement de former des ouvriers, c’était pour former des gens avec une formation générale pour développer un esprit critique. Ça permettait un accès à la culture, à la littérature… Ç’a eu comme effet de démocratiser l’enseignement.»

M. Caron se souvient qu’il y avait une différence de mentalité entre les gens qui provenaient du cours classique du Séminaire Sainte-Marie et ceux qui venaient de l’institut de technologie.

Fabien Béchard souligne que sa première année comme professeur avait été particulière. «J’avais 23 ans et j’enseignais à des jeunes de 18-19 ans. Je jasais avec les jeunes avant mon premier cours. Quand ils ont vu que c’était moi le prof, ils étaient surpris. Je les avais entendus parler comme quoi le nouveau prof allait y goûter! On devait faire passer le message à ces jeunes que les cours généraux étaient importants pour comprendre les enjeux sociaux. Dans ces premières années, il fallait vendre ce nouveau système d’éducation. Il n’y avait pas de philosophie et de sciences sociales dans les écoles techniques.»

C’est en 1974 que le Cégep de Shawinigan a ouvert ses portes à l’endroit où il se trouve aujourd’hui. Les deux hommes indiquent qu’ils n’avaient pas vraiment trouvé une effervescence particulière. Toutefois, ce Cégep qui était le premier au Québec à être conçu en fonction de l’enseignement collégial a permis aux différents enseignants de mieux de connaître, eux qui étaient dispersés aux quatre coins de la ville auparavant. «Au lieu de simplement rester dans ta discipline, on pouvait se parler entre profs pour mieux cibler les besoins des étudiants», commente M. Béchard.

Comment les retraités voient-ils l’évolution du Collège au fil du temps? «La formation est beaucoup plus adaptée aux besoins des entreprises, répond Fabien Béchard. Il ne faut pas oublier le CNETE qui permet à des professeurs de travailler en recherche, ce qui emmène beaucoup plus d’employés.»

Pour les deux hommes, les Cégeps demeurent une nécessité pour le monde de l’éducation au Québec.

Des anecdotes savoureuses

Une photo aérienne prise lors de la construction du Collège Shawinigan.

Avec près de 55 ans d’enseignement au collège, MM. Caron et Béchard peuvent avancer des anecdotes délectables.

«On a vécu le passage du stencil, de la dactylo, puis des ordinateurs», commente M. Béchard.

Quelques années avant sa retraite, un étudiant a demandé à M. Caron s’il pouvait apporter son ordinateur en classe pour un examen de mathématique. «J’avais dit oui, parce que dans ma tête, il n’y avait personne qui pouvait travailler avec ça. C’était un examen avec des intégrales et des intégrales doubles. Dix minutes après le début de l’examen, il m’a remis sa copie. Il avait inséré les formules dans l’ordinateur, et il a eu 100%. Je ne savais pas à l’époque, mais c’était de la triche en quelque sorte», raconte M. Caron en riant.

«Je me demande aujourd’hui comment les enseignants peuvent gérer les cellulaires en classe», ajoute M. Béchard.

«On montrait aux jeunes comment se servir d’une calculatrice, et aujourd’hui c’est ma petite-fille qui ajuste ma télévision», renchérit M. Caron.

Est-ce que les retraités de l’enseignement se souviennent d’un étudiant qui a marqué leur mémoire? «J’ai eu Bryan Perro comme étudiant en philosophie. C’était drôlement intéressant de discuter et de travailler avec lui. C’est un esprit ouvert», souligne M. Béchard.

De son côté. Paul Caron se souvient de Diane Robert. «Elle avait une intelligence rapide. Elle est médecin à Grand-Mère aujourd’hui. Elle était fine et brillante. Elle m’a marqué.»

Fabien Béchard se souvient aussi de son premier cours à l’hiver 1971 et de Jeannine Latour et Michelle Robert. «Les deux filles étaient assises dans mon premier cours. Elles ont à leur tour toutes les deux enseigné et sont à la retraite aujourd’hui. Quand j’ai donné mon dernier cours en mai 2005, j’entre dans la classe et elles étaient assises là. Elles m’ont dit: « Fabien on était à ton premier cours, et on veut être à ton dernier. » J’en parle encore aujourd’hui et ça me rend émotif.»