Heinz Grogg ne veut pas porter le chapeau
Heinz Grogg a la mèche courte ces temps-ci. L’agriculteur de Maskinongé est un homme bien au fait de l’actualité et les reportages ciblant les producteurs de maïs comme étant les grands responsables de la crise alimentaire sévissant sur la planète ce printemps le mettent en rogne: «Ça n’a rien à voir», martèle-t-il.
Suisse d’origine établi en Mauricie depuis 27 ans, M. Grogg est membre du conseil d’administration de Pro-Ethanol, un regroupement de 528 producteurs-actionnaires québécois qui fournissent en maïs les deux tiers des besoins (200 000 sur 300 000 tonnes) de l’usine Ethanol Greenfield, à Varennes. Transformée, cette matière première génère 120 millions de litres d’ethanol qui sont ensuite raffinés par Pétro-Canada dans ses installations de l’est de Montréal.
Heinz Grogg s’est lui-même engagé à livrer annuellement un peu plus de 2000 tonnes, ce qui en fait l’un des deux plus importants producteurs en Mauricie. La région demeure un joueur somme toute marginal dans le dossier puisque seulement 4% du maïs provient d’ici, particulièrement dans l’ouest du territoire (Louiseville, Maskinongé et Yamachiche).
Briser les mythes
L’agriculteur tient par contre à briser les mythes entretenus dans l’opinion publique par les médias. «Le maïs expédié à Varennes représente environ 10% de la production québécoise mais ça équivaut également au surplus que nous produisons annuellement depuis le début des années 2000. Il n’y a donc personne qui meurt de faim à cause de nous.»
Selon lui, il est faux de dire qu’on alimente les voitures avant les humains. «Quand l’industrie du porc était à son apogée au Québec, les gouvernements nous ont incités à produire du maïs pour alimenter les porcheries. Quand l’industrie porcine s’est mise à décliner, on vendait nos surplus à perte à l’exportation. Entre temps, les gouvernements ont décidé de remplacer une partie du pétrole par des biocarburants. Ils se sont alors tournés vers nous en nous faisant miroiter que notre production serait alors moins à la merci des crises qui secouent la production animale. En même temps, c’était économique pour eux car ça leur évitait de recourir à l’assurance stabilisation lorsque nous vendons à perte. C’est une tendance en occident, ce n’est pas nous qui avons demandé ça!», précise l’agriculteur helvète.
Il est vrai, dit-il, que le prix du maïs sur le marché à explosé depuis deux ans – il est environ le double de l’année dernière et ce n’est pas fini selon M. Grogg – mais c’est le cas également du blé et du riz. «Il y a beaucoup de spéculation sur le marché. Entre le producteur et le consommateur, il y a une chaîne et beaucoup d’intervenants là-dedans s’enrichissent. Regardez les profits enregistrés par les compagnies d’engrais et de semences, c’est exceptionnel. Au bout du compte, c’est toujours le premier et le dernier de la chaîne qui paient pour les autres.»
Heinz Grogg affirme que le prix actuel du maïs, environ 240$ la tonne, lui permet d’atteindre tout juste son prix de production. «Moi aussi je dois composer avec des augmentations. Le fuel me coûte 38% de plus qu’il y a un an et les semences, 30%. En même temps, je dois payer mes dettes des dernières années alors que le marché du maïs s’était effondré.»
Autosuffisance
Face à la crise alimentaire bien réelle, il suggère d’adopter une politique de sa patrie natale. «À cause des guerres en Europe, la Suisse a toujours prôné une autosuffisance et de la diversification en matière d’agriculture. Le gouvernement nous dit: on se nourrit d’abord puis après, on ouvre les valves.» Selon lui, un pays comme le Mexique ne serait pas en crise comme c’est le cas actuellement – le prix du tortilla a augmenté de 80% – s’il avait continué de produire son propre maïs. «Les producteurs américains exportaient leur surplus à un prix imbattable. Les Mexicains ont alors délaissé le maïs pour produire des oranges et des ananas avec le résultat qu’on voit aujourd’hui», conclut-il.