Huit chevaux meurent intoxiqués par une moulée

SAINT-SÉVERIN-DE-PROULXVILLE. 25 juillet 2015. La famille Mongrain, de la ferme Desymo à Saint-Séverin-de-Proulxville dans la MRC de Mékinac, se souviendra longtemps de cette date. Sur les 20 chevaux qui vivaient chez eux, huit sont morts et sept autres ont été intoxiqués par la moulée de marque Lactech, dans laquelle on a accidentellement intégré un médicament réservé aux vaches. Plus d’un an plus tard, ils attendent toujours d’être dédommagés.

En tout, une centaine de chevaux à travers la province ont été en contact avec le lot de moulée contaminé. Une douzaine d’entre eux seraient décédés. La ferme des Mongrain est la plus durement touchée.

«Comme tous les matins, on a donné la moulée aux chevaux», explique Sylvain Mongrain. Le soir, la fille de sa conjointe Nancie Lamarre, Marie-Soleil, était seule à l’écurie quand l’intoxication a commencé à faire ses ravages. «La panique a pris», se rappelle Sylvain Mongrain qui épargne les détails de cette mort douloureuse.

Au total, trois chevaux sont décédés dans la soirée du 25 juillet 2015, puis cinq autres sont tombés graduellement jusqu’en mars dernier. Ceux qui restent vivent aujourd’hui avec les conséquences de cette intoxication qui a atteint leur système nerveux.

Une erreur humaine

Les tests des vétérinaires et ceux effectués par Lactech sont arrivés à la même conclusion, à des intensités différentes: présence de monensin dans la moulée, ce médicament destiné aux vaches. «C’est du travail à la chaîne. Le lot de moulée à cheval n’était pas terminé. C’est un supplément à vaches qui entrait après. La personne a pensé que la moulée à cheval était finie et elle a mis le médicament. Tout est automatisé, sauf la médication», explique Nancie Lamarre, qui a visité les installations. L’employé n’était pas inexpérimenté.

Rapidement, la meunerie Lactech, spécialisée en moulée pour ruminants, a reconnu ses torts, informant les familles qu’il s’agissait d’une erreur humaine. Devant les délais qui s’étiraient, la compagnie de production, vente et distribution de moulée Lactech a d’ailleurs envoyé des mises en demeure à son propre assureur, pour certains cas, au courant de la dernière année.

Joint facilement par téléphone, le porte-parole chez Lactech, Jean-Christophe Magnan, assure qu’on a hâte, là aussi, de passer à autre chose. Il précise toutefois que les cas d’intoxication au monensin sont très rares et peu documentés et que la complexité de la contamination a alourdi le processus des réclamations.

Lactech est sous la bannière Agri-Marché, qui existe depuis 103 ans. C’est la première fois qu’un incident du genre, qualifié de «pénible», survient. Il aurait néanmoins permis de resserrer les normes de sécurité. «Tout ce qu’on veut c’est que les gens soient dédommagés.»

La ferme Desymo est une ferme laitière familiale de cinquième génération basée à Saint-Séverin-de-Proulxville, dans la MRC de Mékinac. Depuis 10 ans, on y élève aussi des chevaux pour des compétitions de reining et on y garde des pensionnaires.

Un bataille avec les assurances

Deux des quatre chevaux des Mongrain sont décédés dans la tragédie, les deux autres sont considérés comme invalides. À l’assureur de Lactech, on réclame un montant de 65 000$ pour les quatre chevaux, en plus de sommes liées à la perte de revenus, aux frais de vétérinaires et à la perte de jouissance, un montant total qui s’élève à près de 100 000$ au total.

Nancie Lamarre a transmis un épais cartable de documents à l’assureur en octobre 2015. Depuis, on ne cesse de lui demander davantage de détails et de recalculer. «Ça ne marche pas, on ne répond même pas à nos appels», dénonce Sylvain Mongrain.

Parmi les pensionnaires chez les Mongrain, cinq propriétaires de chevaux auraient accepté des offres qui représentaient la moitié du montant de leur réclamation. «Ils ont accepté parce qu’ils étaient tannés, ils voulaient que ça se règle», estime M. Mongrain.

Joint par téléphone la semaine dernière, l’expert en sinistre Christian Hamel, qui s’occupe du dossier des Mongrain, a répondu qu’il ne souhaitait pas commenter un dossier qui suit son cours. «Je suis lié par le secret professionnel.» Il a évoqué que «beaucoup de raisons» justifiaient les délais dans ce dossier, raisons qu’il n’a pas souhaité élaborer davantage. Il a tenu à préciser que plusieurs réclamants avaient été dédommagés. Environ 65% des 35 réclamants auraient été dédommagés à ce jour.

Au moment d’écrire ces lignes, la famille Mongrain avait reçu par courriel une toute première offre de dédommagement, qui s’élevait à près de 35 000$. Une offre qualifiée de «ridicule» par Sylvain Mongrain, qui envisage aller en cour si les choses n’évoluent pas.

Au-delà des chiffres

Les Mongrain ont hâte de tourner la page sur ce chapitre sombre et douloureux. Ils en ont assez de parler de cette histoire. «Ce n’est pas réglé tant qu’on n’est pas payés. C’est choquant. Ils nous font languir, ils nous font des offres ridicules. Je suis en colère, j’ai hâte que ça se règle, j’ai l’impression qu’on rit de nous», souffle Nancie Lamarre. «Les chevaux qu’on a là ne remplaceront jamais ceux qu’on a perdu, mais il est temps qu’on passe à autre chose», ajoute Marie-Soleil.

«On en passe du temps sur nos chevaux. Il y a une complicité, c’est un membre de la famille», raconte Sylvain Mongrain. Depuis le drame, Nancie Lamarre n’est d’ailleurs pas remontée à cheval. «Cette peine, personne ne va nous régler ça.»