Je n’aime pas les étiquettes
Par Sébastien Burelle | CHRONIQUE. Bien qu’on m’ait formé pour poser des diagnostics, c’est un geste avec lequel j’ai une relation ambiguë. Je n’aime pas les cases, les catégorisations ou les absolus. Avec le temps et l’expérience, je vois de moins en moins de noir et blanc et de plus en plus de nuances de gris dans ma pratique et dans ma vie.
Les diagnostics sont pourtant utiles. Ils permettent souvent d’orienter ou de justifier une thérapeutique, qu’elle soit médicale ou autre. Ils sont souvent en soi thérapeutiques puisqu’ils permettent de donner un nom à ce que vivent les gens et de les rassurer. Du même coup, cela peut leur donner accès à des services et à une communauté avec qui partager leurs malheurs ou leurs solutions pour les problèmes chroniques.
Certains sont plus faciles à poser (une infection, une verrue) parce qu’ils sont en général faciles à annoncer et à traiter. D’autres changent selon les études et les critères établis par les communautés scientifiques, comme l’hypertension, le diabète et l’hypercholestérolémie. Ainsi, pour la même valeur, il y a 10 ans, nous n’aurions peut-être pas posé le même diagnostic.
Puis il y a ceux qu’on redoute, qu’on ne veut pas voir, parce que la vie de ceux chez qui nous les trouverons changera à jamais, pour le meilleur ou pour le pire. Cancer, sclérose en plaques, Alzheimer… Ceux-là me laissent souvent sans mots, impuissant, et me suivent jusqu’à la maison après les avoirs annoncés.
Finalement, il y a les plus gris à mes yeux, ceux qui me demandent le plus de temps, les maladies d’ordre psychologique. On essaie tant bien que mal depuis des décennies de catégoriser la souffrance humaine, d’y trouver des liens et de composer des critères pour les délimiter. Ces critères se retrouvent dans le fameux DSM 5 (Manuel diagnostique et statistique en santé mentale, 5e édition). C’est dans cette catégorie que je me retiens le plus, peut-être par peur injustifiée, ou par respect pour l’incroyable entité qu’est le cerveau humain. Les symptômes de cette sphère de la santé peuvent tellement être interprétés de façon différente selon la culture, l’âge ou l’époque à laquelle on vit que j’en ai le tournis.
Surtout, il ne faut jamais oublier l’envers de la médaille. Un diagnostic peut stigmatiser, limiter l’accès à l’emploi ou à l’assurance, nuire à ses chances de trouver l’âme sœur et parfois, peut-être inconsciemment, déresponsabiliser nos patients. «Ce n’est pas ma faute si je suis comme ça, c’est que je suis tel ou tel diagnostic.» Cette attitude peut malheureusement mener à un désengagement de la société active et une recherche de gains secondaires.
J’aime bien croire que tout est plutôt linéaire, et que nous nous retrouvons tous quelque part dans ce continuum… Ça tombe bien, le gris est très «tendance».