La mort

CHRONIQUE. La mort. Même mon titre rend mal à l’aise.   

Notre rapport avec la mort est, pour la plupart d’entre nous, compliqué.  Nous la savons inévitable, nous l’avons tous côtoyée à un certain moment, mais l’évoquer nous rend inconfortable, et la préparer encore plus. Normal pour quelqu’un qui aime la vie ne pas avoir envie de la voir venir. Surtout ne sachant pas vraiment ce qu’il y a de l’autre côté. J’entends déjà les croyants clamer: «mais oui on le sait!», mais peuvent-ils l’affirmer avec certitude?

Dans notre société, la mort devient souvent un échec du point de vue médical. On ne l’a pas investigué à temps, on a manqué le diagnostic, on a pris le mauvais traitement, le mauvais médecin, etc. On la retarde, on la repousse, tout le monde sait que ce n’est que temporaire, et pourtant on s’étonne, et moi le premier, quand elle se pointe le bout du nez.

J’ai la chance de la voir en face presque tous les jours: je la constate, je la prédis (rarement avec précision), je la repousse et je la propose même comme une option thérapeutique lorsque les autres ne sont plus envisageables. J’ai accompagné plus d’un mourant, plusieurs jusqu’au dernier souffle, puis j’ai posé mon stéthoscope sur ces corps sans vie pour accomplir le fameux «constat de décès». Certains que j’ai suivis pendant des années, d’autres que je n’ai vus que quelques minutes.

Ce que j’ai remarqué après ces quelques années d’expérience, c’est que l’on meurt comme on a vécu.  Les battants se battent, les anxieux s’inquiètent, les comiques rigolent, les leaders organisent et les amants aiment, et on peut faire un peu de tout ça, et ce, jusqu’à la fin.

Et avant la mort, il y a souvent de très beaux moments de vie. C’est aux soins palliatifs que j’ai eu le plus d’expériences humaines transformationnelles, vous savez, celles qui changent votre façon de voir la vie, de pratiquer votre métier. J’y ai eu les plus belles brèves rencontres de ma vie. Des petits quinze minutes où j’ai connecté plus intensément avec un étranger qu’avec certaines personnes que je connais depuis des années.

Je ne vous ferai pas de leçon morale ici. Je sens la mort encore trop loin de moi pour vous dire de la laisser venir ou de l’accepter plus facilement. Peut-être que plus proche d’elle, je serai aussi déterminé à la repousser que n’importe lequel de mes patients. Mais je m’efforcerai de prendre des leçons à chacun des patients que j’accompagnerai dans cette étape, et je vous souhaite tous de vivre ces intenses moments de vie comme une bénédiction.