Manifeste pour une vie d’enfant

Par Marilou Hamel-Fréchette | CHRONIQUE. La porte de la maison chez nous est toujours ouverte. Au sens propre comme au sens figuré. Il n’est pas rare qu’en entendant des petits pas, je me retrouve à saluer avec enthousiasme un enfant dans la pièce voisine, posant mille questions sur sa journée, pour me rendre compte par la voix qui me répond que ce n’est finalement pas l’un des miens. 

«Euh…je fais juste remplir ma bouteille d’eau» (avec mes souliers dans les pieds et mes mains pleines de boue dans ton lavabo blanc), me crie le p’tit voisin de la 9e, nouveau dans la gang, encore pas certain s’il a vraiment le droit d’être là ou pas.

Notre but de hockey, bien installé au milieu de la rue est le lieu de mille tournois, pratiques, hurlements de joie, exploits, pleurs, rires et protestations de «C’est pas juste!».

Mes enfants sont les rois des tournées de collations, auxquelles j’ai imposé quelques règles essentielles telles que: ne pas offrir de bar open de lait, respecter l’embargo sur la distribution de gomme (depuis que j’en ai eu une dans les cheveux, incident requérant une coupe d’urgence avec des ciseaux de fortune un dimanche matin) et finalement, vanter la vertu des pommes comme alternative idéale et économique aux amandes à 45$ le kilo pour nourrir tous les voisins après l’école.

Quand vient le temps de rentrer, il faut toujours le dire 34 fois, jusqu’à le crier avec impatience en utilisant la menace absolument inutile «Tu vas manger froid!» et la plus efficace «Si tu mets pas la table avec ton frère et ta sœur, tu vas la débarrasser tout seul tantôt!»

Malgré le fait que c’est un chaos quasi-permanent d’avoir des enfants qui courent d’un bord et de l’autre, cette vie de clan privilégiée, sur laquelle je pourrais écrire mille fois, me convient parfaitement dans son rythme fou mais humain, parfois épuisant mais, si rassurant à la fois. Rassurant parce qu’il ressemble à celui de ma propre enfance, pas si lointaine tout de même et aux jours d’insouciance de plusieurs de ma génération.

On peut m’accuser de nostalgie excessive, mais je vous rassure, j’adore le siècle dans lequel on vit. Nos enfants sont allumés, curieux, probablement plus articulés que nous l’étions et je n’en suis pas encore à me bercer avec des «dans mon temps».

Personne n’a déclaré qu’on ne pouvait pas avoir un peu des deux mondes. Un peu d’aujourd’hui et un peu d’avant? Du temps pour regarder le soleil se lever et respirer avant de débuter une journée à grande vitesse.

Pourquoi un enfant ne pourrait pas construire un univers virtuel sur son Ipod le lundi, mais faire partie d’un club secret d’aventuriers dans sa cabane dans l’arbre le vendredi? Être reine de lipsync sur Musical.ly, mais trouver tout autant de plaisir à jouer librement dehors et à rentrer tellement sale que l’eau du bain vire au brun? Jouer à NHL sur le Xbox, mais se prendre pour PK en jouant au hockey dans la rue?

Ce n’est pas tout noir ou tout blanc. Il faut vivre dans son temps, sans renier la base, le bonheur de jouer dehors sans notion des heures qui passent, avec les joues roses d’avoir trop couru.

Nos enfants ont besoin de jouer, penser, s’ennuyer, explorer, se chicaner, voisiner, prendre le contrôle de la rue. De passer d’une maison à l’autre en troupe bruyante. De savoir qu’on n’est pas tout le temps dans leurs bottines.

Je vous entends…Oui mais les méchants? les voitures? les abeilles? son intolérance au gluten? Je sais. Je sais. Je sais. Mais il y avait tout ça dans notre temps aussi (sauf l’affaire du gluten, ça n’existait pas, nos parents savaient pas c’était quoi, ils nous donnaient encore du Kool-Aid comme si c’était santé).

Ça se peut que votre horaire, votre «beat», vos voisins louches ne permettent pas de lâcher vos enfants lousses, de les laisser s’époumoner dehors tous les soirs.

Mais quand on y pense, quels sont nos moments préférés d’enfance? L’expédition trépidante dans la forêt du haut de la côte composée de tout au plus cinq arbres, dans laquelle on faisait mine de se perdre, ou les jeux encadrés avec notre mère qui nous surveillait?

Pardon? Vous non plus vous n’avez pas de souvenirs de votre mère qui jouait avec vous en vous «encadrant»? C’est parce qu’elle était plus «wise» que nous, parents des années 2000 et qu’elle savait que vous aviez plus de fun avec les p’tits voisins à vous inventer des histoires de pirates perdus dans la jungle.

Prenez exemple sur votre mère. Laissez vos enfants jouer aux pirates eux aussi. Ouvrez votre porte à l’aventure!