Sa couleur nuit-elle à son embauche?

Établi dans la région depuis 2003, Kevin Nzoula Mendome, un résident de Grand-Mère, peine à se trouver un emploi dans son domaine d’étude. Alors qu’on parle de l’exode des jeunes professionnels vers les grands centres, voilà bientôt cinq ans que ce diplômé en administration des affaires se dit boudé par les employeurs d’ici. Questionné sur sa situation de chômeur par son fils de quatre ans, ce père de famille en est venu à lui donner la réponse suivante: «Papa ne travaille pas à cause de la couleur de sa peau.»

Quand le téléphone ne sonne pas

Kevin Nzoula Mendome, natif de Libreville au Gabon, soutient avoir envoyé près de 300 curriculum vitae aux entreprises de Shawinigan et de la Mauricie sur une période de cinq ans, mais en vain.

Venu en région dans le cadre de ses études en administration des affaires à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), l’Africain d’origine a ensuite entrepris une maîtrise en administration publique à L’École nationale d’administration publique (ÉNAP) au campus de Québec. Il souhaite œuvrer dans le domaine des ressources humaines et de la gestion. Parallèlement à ses études, M. Nzoula Mendome a fait la connaissance de sa conjointe, une résidente de Grand-Mère.

«Je sais que j’ai des compétences en ressources humaines et mon bagage scolaire le prouve. De plus, je veux travailler et je suis en bonne santé», affirme celui qui passe ses journées à essayer de contrer sa situation de chômeur. «Malgré mes démarches actives et plusieurs visites sur les lieux de travail potentiels, rien ne porte fruit.»

Un domaine d’étude en essor

Pourtant, d’après Anne-Sophie Charlot du département des Sciences de la gestion de l’UQTR, les perspectives d’emploi dans le domaine en région sont encourageantes. «C’est certain que le savoir-faire est de mise, mais les employeurs recherchent également le savoir-être de leur employé», souligne-t-elle. Si le parcours scolaire du diplômé paraît des plus intéressants aux yeux de Mme Charlot, elle n’ose pas s’avancer sur les raisons qui apportent l’ancien étudiant à demeurer sans emploi.

«Parmi toutes les entreprises que j’ai approchées, pas une seule ne m’a convoqué en entrevue ou simplement donné un suivi quelconque !», se désole M. Nzoula Mendome. Pourtant, l’homme le répète, il fait tout en son pouvoir pour décrocher un poste relié à son champ d’études sans véritable égard au salaire.

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À travers ses démarches, le Grand-Mérois a entrepris de travailler à son compte pendant deux ans dans le domaine des assurances. «Encore là, j’ai eu de la difficulté à rejoindre des clients potentiels. J’essuyais des refus en bloc et, après avoir mené une petite enquête avec un de mes collègues natif du Québec, nous en sommes venus à la conclusion que je redoutais. Les gens ne voulaient pas me confier leur argent, car je n’étais pas de la même origine culturelle qu’eux», relate-t-il.

Toutefois, le gestionnaire n’est pas le seul à subir les contrecoups de ces préjugés. «Mes fils commencent à se poser des questions et je veux être un meilleur modèle pour eux que je peux l’être présentement. C’est l’espoir qui me fait continuer à chercher une opportunité et aussi ma famille.» Si l’homme ne sombre pas dans le désespoir ni la colère, il affirme cependant trouver cette inertie professionnelle «injuste et ridicule».

Un racisme silencieux

S’il peut compter sur une conjointe qui obtient un salaire décent, ces revers n’empêchent pas ce père de 4 jeunes garçons de se sentir «dévalorisé» et «laissé pour contre».

«J’ai beau avoir un tempérament optimiste, un moment donné, je me suis posé des questions sur la raison véritable de cette fermeture? Je sens que la ville me rejette et que les gens ne veulent pas de mes services ici, car je suis d’une autre origine ethnique que la leur».

Si aucun employeur n’a indiqué clairement au trentenaire les raisons de ces multiples refus, c’est à contrecœur que l’homme en est arrivé à une conclusion d’ordre raciale. Il se remémore cette fois où on lui a dit que son embauche dans un organisme sans but lucratif de la région pourrait engager des frictions avec les bénévoles de l’organisation en raison de son ethnie.

«On ne me le dit pas explicitement, mais professionnellement, tout tourne autour de mon origine ethnique et de la couleur de ma peau», affirme le gestionnaire qui se dit victime d’un racisme silencieux.

Après avoir réalisé des petits boulots au salaire minimum, M. Nzoula Mendome s’emploie à donner de son temps à des organismes sans but lucratif à titre de bénévole. Il est ainsi l’un des administrateurs du SANA (Service d’aide aux nouveaux arrivants) et du Centre d’action bénévole de la région de Shawinigan. «J’ai développé un réseau de contacts intéressants grâce à mon implication sociale dans la ville. Je sais que je ne suis pas natif d’ici et que c’est à moi d’aller vers les autres.» Pourtant, l’ouverture du milieu des affaires tarde à se faire sentir.

Si l’Africain se montre ouvert à faire profiter une entreprise d’ici de ses compétences, il n’attend maintenant plus qu’un coup de téléphone positif pour pouvoir exaucer son souhait : travailler dans son domaine d’étude. Le cas échéant, le Grand-Mérois songe sérieusement à quitter la ville pour aller tenter sa chance vers les grands centres.