Saluer la cigale en soi

CHRONIQUE. Peut-être que la période estivale que l’on vient de traverser en est la principale responsable, mais toujours est-il que j’ai envie de redonner quelques lettres de noblesse à la cigale.

Souvenez-vous de la fable de La Fontaine «La Cigale et la Fourmi». On se rappelle aisément que le mérite allait plutôt à la fourmi. Celle-ci se méritait notre admiration pour avoir travaillé sans arrêt. Alors que la cigale avait osé s’amuser. La fourmi se complaisait sans retenue à renvoyer la cigale à sa vie de désinvolture.

La Cigale, ayant chanté

   Tout l’été,

   Se trouva fort dépourvue

   […]

   Vous chantiez ? J’en suis fort aise.

   Eh bien ! Dansez maintenant.»

Bien sûr, nous saisissons qu’il s’agit d’une fable qui enseigne la prévoyance et l’importance d’abattre de la besogne quand il se doit.  Cependant, il semble qu’on soit aussi amené à déduire que la cigale devrait ressentir une pointe de culpabilité de s’être ainsi amusée.

En d’autres mots, elle n’aurait peut-être pas dû manger une barbe-à-papa à La Ronde jusqu’à s’en coller les pattes, ni chanter en s’époumonant au spectacle de Muse sur les Plaines d’Abraham et encore moins inviter douze autres cigales à contempler la Voie lactée au chalet.

C’est une excellente chose en soi que de valoriser l’atteinte d’objectifs et la performance.  La rigueur et l’ambition poussent l’humain à se dépasser. Il faut cependant savoir qu’elles peuvent aussi nous aspirer.  Rappelons-nous lorsque nous étions enfants et que nous faisions « du courant » dans la piscine, on aimait se laisser emporter. Par contre, on ressentait aussi du plaisir lorsque nous tentions de nager à contre-courant.   Il peut effectivement être difficile d’essayer d’aller à l’encontre du rythme effréné auquel on est habitué. Cependant, il devient amusant d’apprendre à ralentir.  C’est au creux de cette lenteur qu’on se surprendra à percevoir des choses impossibles à distinguer autrement.

La lenteur ne se traduit pas par l’inaction, au contraire, elle suggère plutôt d’ouvrir les yeux dans le mouvement, d’observer en s’amusant.

Ralentir c’est voir des choses que l’on a tendance à oublier.

Cet été, j’ai vu et j’ai été fière de contempler.  L’ingéniosité et l’habileté de mon père qui rafistole de ses mains un quai qui s’est fait emporter par les glaces hivernales.   La beauté et la générosité du coeur de ma fille qui quitte doucement l’enfance pour l’adolescence.  La longévité et la vérité de la relation qui m’unit à ma mère.  La force et le courage d’une amie qui a décidé de se choisir.  Le talent incommensurable qui habite mon amoureux.

Ces choses-là, existent certainement lorsqu’on travaille comme une fourmi.

Elles se distinguent cependant mieux lorsqu’on ralentit pour savourer la vie comme une cigale.