Une vocation touristique pour le Domaine Beauséjour?

HISTOIRE. Une demande a été déposée l’automne dernier au ministère de la Culture et des Communications du Québec afin que le Domaine Beauséjour obtienne un statut patrimonial national qui lui donnerait accès à des aides financières et des experts afin de restaurer le site.

De Turin, en Italie où elle habite, la propriétaire Sophie Picard a bien voulu lever le voile à L’Hebdo sur les projets qu’elle caresse pour cet ancien lieu de villégiature érigé vers 1885 par le Dr George Sumner Huntington, un professeur américain de l’Université de Columbia.

Avec ses dix-sept bâtiments situés dans le secteur Saint-Gérard-des-Laurentides, le Domaine Beauséjour est un des rares témoins toujours debout de l’époque des camps de chasse et de pêche appartenant à l’élite anglophone du début du XXe siècle. En s’en portant acquéreur en 2014, Sophie Picard venait mettre fin à une période d’incertitude provoquée par des démêlés juridiques impliquant les deux propriétaires précédents.

Avant que la pandémie ne l’empêche de revenir au Québec, Sophie Picard, dont le père était un Shawiniganais, venait passer ses étés dans la propriété avec ses enfants. Dès  le départ, son intention a toujours de restaurer le site malgré les sommes substantielles que cela risque d’impliquer. «C’est pour cela qu’on demande une reconnaissance de la part du ministère. Un classement permettrait de travailler avec des professionnels. Des fois, tu fais des travaux avec une bonne intention, mais tu détériores. Alors, on préfère y aller plus lentement. C’est plus coûteux, mais tu es certain que c’est bien fait», explique-t-elle.

Actuellement, habitant l’ancienne maison du gardien, un membre de sa famille loge en permanence sur le site pour y assurer une présence. Pour sa part,  Sophie Picard a établi sa demeure dans la maison principale, un bâtiment de quatre étages construit en 1895 et dont la toiture en tôle a été refaite au complet, La plupart des 17 constructions du domaine demeurent en bonne état sauf une, la plus ancienne, mais aussi la plus spectaculaire: la maison des invités.

Construite sur le bord d’une pente, ses poutres de fondations étaient rehaussées chaque année de quelques pouces à l’époque des Renshaw-Bishop, la famille qui l’avait repris de M. Huntington. Une opération qui n’a jamais été répétée depuis une vingtaine d’années et qui la rend vulnérable aujourd’hui à un effondrement. Sa vieille toiture rouillée est également percée, permettant à l’eau et la neige de s’infiltrer à l’intérieur et de gâter par la même occasion la structure de la maison. Enfin, l’imposante cheminée de pierres doit également être solidifiée avant que des morceaux ne s’y détachent et défoncent la toiture. «C’est la plus belle du domaine, ma préférée. J’aimerais la sauver», déclare Sophie Picard au bout du fil.

Dans tous les cas, la propriétaire du site ne se contente pas de belles paroles puisqu’elle s’est adjoint Marie-Josée Deschêsnes, une architecte spécialisée dans la restauration de bâtiments patrimoniaux, pour monter le dossier qui a été déposé au ministère de la Culture et des Communications du Québec.

Sophie Picard prévoit revenir s’établir au Québec dans un horizon d’environ six ans, lorsque la benjamine de ses enfants aura terminé son école primaire en Italie. Elle espère d’ici là avoir eu une réponse positive du ministère et avoir entrepris les travaux de restauration sur les principaux bâtiments. «Dans mes plans, j’aimerais ouvrir le site au public, le faire redécouvrir, raconter l’histoire du domaine. Dans un premier temps, je verrais un projet touristique estival et à plus long terme, quelque chose de plus permanent. Je suis optimiste», termine-t-elle.

Jusqu’en 2019 où elle pouvait revenir au Québec, Sophie Picard logeait avec sa famille dans la résidence principale du domaine qu’elle a acquis en 2014.

Un nouveau programme qui donne espoir

Architecte spécialisée dans la restauration de bâtiments patrimoniaux, Marie-Josée Deschênes s’occupe du dossier du Domaine Beauséjour depuis maintenant deux ans à travers ses nombreux autres mandats. «C’est assez remarquable comme site, admet-elle. On retrouve des camps de chasse et de pêche ailleurs au Québec comme le Triton en Haute-Mauricie ou à Montebello, en Outaouais. Mais ici, c’est le nombre de bâtiments en bon état qui surprend. Quand on arrive sur place, c’est comme si cela avait été figé dans le temps.»

Une reconnaissance nationale par le gouvernement du Québec permettrait à Sophie Picard d’obtenir de l’aide financière pouvant aller jusqu’à 40% du coût des travaux de restauration. «Lorsque c’est un édifice ouvert au public, l’aide peut atteindre 70%», explique l’architecte dont les bureaux sont situés sur la Rive-Sud de Québec.

Marie-Josée Deschênes a également entrepris des démarches auprès du Conseil local du patrimoine pour solliciter une lettre d’appui qui viendrait étoffer son dossier au ministère de la Culture.  Enfin, la consultante est allée au département d’urbanisme de la Ville pour vérifier l’existence de programme d’aide financière.

La Ville a déjà adopté en 2017 un programme d’aide pour la restauration des bâtiments patrimoniaux sur son territoire, mais celui-ci accorde un maximum de 15 000$ par projet. Ce qui est bien peu en regard du chantier que nécessiterait le Domaine Beauséjour. En revanche, l’architecte s’intéresse plus particulièrement au Programme de soutien au milieu municipal en patrimoine immobilier lancé par le gouvernement du Québec en décembre 2019 et doté d’une enveloppe de 60 millions$ sur trois ans.

La Ville de Shawinigan a adopté en février dernier un règlement concernant ce programme en vue, selon ce que L’Hebdo a appris, d’obtenir du financement pour réfection de la gare de l’avenue de la Station. Mais le programme comprend également un volet pour les bâtiments appartenant à des intérêts privés. «L’une des exigences du programme, c’est de restaurer. Ça tombe bien parce que c’est exactement ce qu’on veut faire avec le Domaine Beauséjour», termine Marie-Josée Deschênes qui prévoyait déposer une demande en ce sens.