Test auditif périnatal: quelques secondes qui peuvent changent toute une vie

MONTRÉAL — Vers l’âge de dix ou onze mois, la petite Megane inquiétait ses parents. Elle ne réagissait pas aux stimuli sonores qui l’entouraient. Il a fallu tout près de deux ans – et cinq médecins spécialistes – pour lui diagnostiquer un problème de surdité. Un constat qui aurait pu prendre quelques secondes à obtenir le jour même de sa naissance, si un test de dépistage périnatal promis il y a dix ans était disponible partout dans la province.

En 2013, le gouvernement québécois avait lancé en grande pompe un programme de dépistage systématique des problèmes auditifs pour les nouveau-nés, une pratique ayant déjà cours dans les autres provinces canadiennes et les États américains.

Or, huit ans plus tard, moins d’une vingtaine d’établissements offraient ce service, qui ne permet donc que de dépister 54 % des nouveau-nés, déplore l’Association du Québec pour enfants avec problèmes auditifs (AQEPA), qui souligne ce mois-ci le Mois de l’ouïe et de la communication.

«C’est tout simple, c’est un petit appareil de rien, souligne le père de Megane, Luc Poirier, qui est également administrateur chez Audition Québec. Ça ne prendrait que quelques secondes à faire [comme test], en même temps que les tests de réactions et de réflexes que les bébés subissent quand ils viennent au monde.»

Le problème ne tient pas au test lui-même, mais à la disponibilité de la main-d’œuvre pour l’effectuer, nuance Claire Moussel, directrice générale de l’AQEPA.

«Le test est assez simple, reconnaît-elle, mais l’enjeu touche la formation des infirmières, qui sont celles en mesure de l’administrer. On parle d’une formation de cinq jours, dont un volet théorique de deux jours et d’un volet pratique de trois jours qui se fait dans un hôpital où le test est déjà appliqué.

«Il faut donc que les infirmières soient libérées et qu’elles se déplacent dans un autre établissement, ce qui n’est pas toujours évident dans certaines régions où on est confronté à un manque de main-d’œuvre», renchérit-elle.

Un coût social élevé

Au Québec, de 4 à 6 bébés sur 1000 naissent avec une surdité partielle ou complète, ce qui représente plus ou moins 420 naissances. Comme 60 % d’entre eux ne présentent pas de risques de surdité, ils ne sont pas nécessairement soumis à un test de dépistage hâtif qui permettrait de pallier immédiatement à cet handicap, note l’AQEPA.

Pour M. Poirier, le coût pour la société de ne pas offrir ce test précoce à tous les poupons québécois est de beaucoup supérieur à la facture qu’entraînerait le déploiement complet du programme.

«Megane est super intelligente et on a travaillé beaucoup pour qu’elle puisse rattraper son retard, pour qu’elle ait une vie la plus normale possible, relate le père de la préadolescente désormais âgée de 11 ans. Si elle avait eu un dépistage néonatal, elle n’aurait pas eu autant de problèmes. Elle aurait pu avoir ses appareils à neuf ou douze mois et il n’aurait pas fallu autant d’efforts pour qu’elle rejoigne les autres jeunes de son âge.

«C’est triste parce que plus tu attends, plus tu dois reprendre ce temps perdu, poursuit-il. Ça va vite à cet âge-là, les enfants apprennent beaucoup dans les trois ou quatre premières années de leur vie.»

«C’est évident que le meilleur âge pour dépister une surdité, c’est le plus tôt possible, clame Mme Moussel, parce qu’on peut rapidement agir et mettre en place tous les moyens possibles pour communiquer avec l’enfant.»

Un problème d’audition non diagnostiqué et pire, non traité, durant la petite enfance peut en effet être source de complications, indique Audrey Hardy, coordonnatrice clinique professionnelle de la Division d’audiologie à l’Hôpital de Montréal pour enfants. 

«Ne pas entendre ou ne pas bien entendre entraîne des difficultés de communication, notamment au niveau du développement langagier, dit-elle, mais ça va au-delà de ça, ça a des implications au niveau psychosocial. Ne pas être capable de communiquer peut avoir un impact sur notre développement et sur nos interactions avec les autres.»

Ne pas dépister la surdité peut mener à d’autres diagnostics erronés, comme un trouble du spectre de l’autisme, qui lui aussi peut être confondu avec une surdité.

«On peut se méprendre et penser qu’un enfant a un trouble du spectre de l’autisme parce qu’il ne réagit pas, qu’il ne parle pas, et en audiologie, on voit beaucoup d’enfants TSA pour les mêmes raisons, explique Mme Hardy. C’est que dès qu’on a un doute, il vaut mieux éliminer un problème d’audition comme facteur contributif. Après on peut passer à d’autres causes.

«Quand c’est l’audition le problème, on peut réagir rapidement et l’enfant se met à parler, il reconnaît son nom; d’où l’importance de faire cette petite visite qui peut vraiment tout changer», poursuit la professionnelle.

Malheureusement, les listes d’attente sont longues et les audiologistes ne sont pas légion, déplore-t-elle. «On croule sous les demandes, on a des listes d’attente de plus d’un an, à Québec j’entendais deux ans… Dans la vie d’un enfant, c’est trop.»

Jamais trop tard pour dépister

Enfin, un dépistage négatif à la naissance ne signifie pas qu’un enfant sera éternellement à l’abri de problèmes auditifs.

Malheureusement, l’audiologie ne fait pas partie du programme provincial Agir tôt, qui permet aux enfants de moins de cinq ans de consulter des professionnels via leur CLSC pour combler rapidement tout retard de développement observé, déplore Mme Hardy.

Selon l’Ordre des orthophonistes et des audiologistes du Québec, «la déficience auditive est le deuxième trouble le plus fréquent chez les enfants de moins de cinq ans, après le trouble visuel».

L’Ordre indique par ailleurs que «de 4 % à 6 % des problèmes auditifs se développent après la naissance et avant l’âge de six ans».

Pour cette raison, Mme Moussel invite les parents à faire subir un test d’audition à leur enfant juste avant son entrée à l’école, de la même manière qu’ils l’emmèneront chez l’optométriste.

«Il y a des surdités qui peuvent être acquises plus tard dans la vie, comme après une méningite, un choc auditif, un accident ou des otites à répétition», prévient la directrice générale de l’AQEPA.

«La surdité, c’est invisible, très peu connu et on n’y pense pas toujours, ajoute-t-elle. C’est pour ça qu’il est important de la faire dépister.»

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Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.