Dans la tête d’un pédophile

«J’avais de bons parents, huit sœurs et un frère. J’ai eu beaucoup d’amour dans mon enfance, beaucoup de respect, beaucoup de sécurité et de confiance. Je n’ai jamais été abusé. J’avais une attirance sexuelle développée, entre autres à cause de mes sœurs: ça m’a éveillé tôt. Aujourd’hui, je vois que mes désirs partaient de loin.»

Léonard (nom fictif) a abusé de deux de ses filles il y a de nombreuses années, sans pour autant avoir une attirance sexuelle particulière envers les enfants.

«Je me suis marié avec une femme que j’ai appris à aimer. J’ai reproduit avec mes enfants l’éducation que j’avais eue plus jeune. J’étais un bon père de famille, j’étais proche de mes enfants et j’aimais ma femme. Ça a été long avant d’en arriver à ce que j’ai fait», raconte-t-il.

«Je leur caressais les cheveux, leur massais le dos. Je n’éprouvais aucun désir sexuel. Un jour, quelques années plus tard, j’ai eu une réaction sexuelle. Je n’en ai pas parlé! Tu te dis que ce n’est pas normal, tu as honte. Mais avec le temps, tu répètes, tu répètes…et ça devient "normal" pour toi. Tu ne démêles plus rien: tu aimes ton enfant, tu lui touches, tu crois voir qu’elle aime ça, mais tu sens au fond de toi qu’elle ne veut pas. Jamais je ne pensais en arriver là», confie Léonard.

Il s’était lui-même pris dans cet engrenage. C’est alors devenu une drogue, un désir qu’il nourrissait tous les jours, des fantasmes qu’il a développés.

Destruction à large échelle

Puis, Léonard s’est mis à manipuler son entourage.

«Ça allait bien avec ma femme, mais elle sentait des choses, indique-t-il. Elle ne voulait pas les voir parce que ça fait trop mal et les enfants n’en parlaient pas. Je suis devenu un grand manipulateur. N’étant pas agressif de nature, ça s’est fait doucement, mais ça a laissé des traces profondes.»

Tous ces secrets ont fini par détruire sa famille et ses enfants. Ça a contaminé toutes les personnes qui l’entouraient.

«Tu as honte et la conscience se détruit tranquillement. Je me convainquais que c’était eux qui ne me comprenaient pas. J’en suis venu à me trouver des excuses pour me justifier. Tsé, le petit sourire que ma fille me faisait quand je l’abusais, c’était assez pour oublier tout ce que j’étais en train de lui faire. Elle ne souriait pas parce qu’elle aimait ça, mais je ne me l’admettais pas», avoue Léonard, les yeux remplis de larmes.

Dénonciation

C’est l’une de ses filles qui a eu le courage de le dénoncer une première fois à l’école. Mais Léonard s’est rendu à la thérapie en niant tout.

Quelques années plus tard, sa famille l’a dénoncé pour de bon à la police.

«Je me souviens quand les policiers sont arrivés. J’étais en train de prier. Je voyais que ça n’allait pas bien dans ma vie. Avant ça, je n’aurais pas fait la thérapie volontairement. C’est trop souffrant. Lorsqu’on m’a fait quitter ma région pour venir à Trois-Rivières, j’ai décidé d’aller de l’avant. Je voulais comprendre», assure l’homme.

Une fois en prison, Léonard a participé à toutes les thérapies possibles et consulté des psychologues à de nombreuses reprises. Il a également pris part au programme Justice réparatrice qui consiste à réunir, pendant trois mois, des abuseurs et des victimes dont la majorité n’a pas osé dénoncer leur agresseur.

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«C’était intense, mais ça m’a ouvert l’esprit. On m’a donné des outils, autant à la prison qu’à la Maison Radisson. On m’a aidé à comprendre comment fonctionne mon corps, celui d’une femme et celui d’un enfant. C’est important de comprendre les conséquences de nos actes pour ne pas les reproduire. J’ai bien aimé les thérapies de groupe. On venait tous de différents horizons, chacun avec notre histoire et notre passé. On expliquait les choses différemment.»

Pas du bonbon!

Sa thérapie à la Maison Radisson a duré dix mois au total, dix mois durant lesquels Léonard a établi un lien de confiance avec les intervenants.

«C’est important que la thérapie se déroule sur une longue période. Ça nous permet de vivre ce qu’on nous enseigne. Les intervenants nous éveillent l’esprit. Je les trouve humains. Ils ne sont pas là pour nous punir, mais pour nous aider», soutient Léonard.

Contrairement à une certaine croyance populaire, ces séjours en maison de transition ne sont pas du bonbon.

Les résidents partagent des chambres communes. Ils sont obligés de suivre de cinq à six heures de thérapie par semaine et ils doivent se rapporter aux deux heures pendant une longue période de temps.

«Ils retrouvent un rythme de vie, doivent trouver un emploi et composer avec les jugements de la société. C’est un stress de recommencer comme ça, sans compter qu’aujourd’hui avec Internet, dès que tu es médiatisé sur la Toile, ça y reste à vie. C’est important de les aider à se réhabiliter pour qu’ils ne récidivent pas et l’exclusion contribue à la récidive», explique Samuel Côté, intervenant à la Maison Radisson.

Avant de quitter la maison de transition, les résidents doivent passer une série d’évaluations et plusieurs intervenants doivent statuer qu’ils sont prêts à retourner dans la collectivité.

Revoir sa famille

Depuis sa sortie, Léonard s’occupe constamment, voit du monde: tout pour ne pas s’isoler et risquer de rechuter.

Il est aussi l’un des chanceux avec qui les enfants et la famille ont accepté de reprendre contact.

«Ils ne m’ont pas accueilli à bras ouverts et c’est normal. Ça a pris sept ou huit ans avant que ça se fasse. Mais c’était et c’est important pour moi de réparer ce que j’ai fait. C’est tout un lien de confiance à rebâtir. C’est un défi tous les jours lorsque j’entends parler de mes enfants. Je pense encore à ce que j’ai fait lorsque je vois un père et son enfant dans la rue. C’est omniprésent. Mais je n’aurais pas été capable de me rétablir s’il n’y avait eu aucune tentative de réparation avec mes enfants. Ça aurait été impossible», affirme Léonard.

Il participe aussi à des rencontres du groupe de suivi de la Maison Radisson, ce qui l’empêche d’avoir des pensées déviantes, assure-t-il. «Je sais qu’il y a des oreilles pour m’écouter et me comprendre. Je ne peux pas trouver ça dans la rue. Si je refusais d’y aller, c’est comme si je refusais les outils qu’on m’a donnés pendant ma thérapie.»

Des impacts bien réels

Encore aujourd’hui, ses enfants souffrent. La relation avec leur père est encore fragile.

L’une de ses filles a même parfois de la difficulté à donner le bain à son petit bébé, un garçon.

«Les enfants ne veulent pas admettre qu’ils en ressentent encore les contrecoups. Ils voudraient pouvoir tout oublier et en parlent peu. Aujourd’hui, mes filles me donnent la main quand on se voit, mais ne me collent pas. Je les comprends et c’est correct. Ça me mettrait mal à l’aise aussi. Je sais que je dois surveiller tous mes sens. Je ne veux pas dire des paroles qui ne seraient pas bonnes à entendre pour mes enfants. J’ai pris conscience des dommages que j’ai faits aux gens que j’aime et je veux réparer ça.»