Étranger chez soi ?
Anik Gingras et Didier Antoine Lachaume auront tout essayé. Peine perdue, ils doivent composer depuis le début du mois avec la destruction de leur intimité. C’est que la centaine d’arbres délimitant leur terrain de la 12e rue au Lac-à-la-Tortue, qui se trouve à la lisière des lignes de hautes tensions, a été coupée à blanc par des employés d’Hydro-Québec.
«C’est irréparable!»
Anik Gingras est popriétaire de la résidence concernée par ce nettoyage forcé depuis 2006, mais y habite depuis l’année 2001. «J’étais au courant qu’il y avait une servitude avec Hydro-Québec en cours avec l’ancien occupant», raconte-t-elle.
Des employés de la société venaient donc ainsi faire leur travail une fois par cinq ou six ans pour nettoyer et raser ce qui pouvait gêner les lignes de haute tension. «Jamais je ne me suis doutée par contre que mes arbres, que mon environnement entier était en jeu», se désole la dame pour qui la nature est un besoin. Elle soutient que son terrain est désormais devenu un véritable «no man’s land».
En effet, un document légal faisant état d’une servitude entre l’occupant du terrain de la 12e rue et la société d’État a été signé en 1987. «Sur papier, c’est nous qui sommes propriétaires, par contre dans les faits Hydro peut débarquer ici n’importe quand, faire n’importe quoi et on n’a aucun recours! On est bien petit à côté des géants», fait remarquer Mme Gingras.
Les démêlés du couple avec Hydro-Québec ont débuté en 2009 lorsque Mme Gingras a appris que la société procéderait à une coupe de plusieurs arbres d’ici quelques années. «Je n’en revenais pas. Je m’y suis opposée et j’ai essayé de trouver un compromis avec eux. Ces arbres n’avaient pas posé de problèmes depuis des années, alors pourquoi les enlever maintenant ?», s’interrogeait la dame qui a tenté de plaider le facteur «humain» pour résoudre le conflit.
Pas de recours possibles
Le «mal a été fait» le 31 juillet dernier, alors que deux ingénieurs sont venus «détruire» le terrain du couple, toute une journée durant. La résidente estime qu’Hydro-Québec aurait pu faire preuve d’ouverture. «Il y a une nuance à faire entre servitude et emprise. On se sent plus dans le deuxième cas», a fait remarquer M. Lachaume.
Pourtant, la servitude sur laquelle s’appuie la société d’État est énoncée par écrit de la façon suivante: «un droit de couper, d’émonder, d’enlever, de détruire, de quelconque manière que ce soit et en tout temps sur ladite lisière tous arbres, arbustes, branches et buissons, et d’enlever tout objet qui s’y trouverait, et de déplacer hors de ladite lisière tout meuble ou construction ou structure situés sur ladite lisière.»
Appelée à commenter ce genre de situation, Hydro-Québec indique ne pas pouvoir entrer dans les détails du cas du couple en particulier pour des raisons de confidentialité, mais dresse cependant un portrait des activités de nettoyage en général. «Lorsqu’un arbre d’essence incompatible pousse trop près d’une ligne, un arc électrique peut se produire et causer de graves blessures à quiconque se trouve à proximité ou même déclencher un incendie», indique la société sur l’une des raisons de ce nettoyage.
Véronique Trépanier, conseillère aux relations avec le milieu en Mauricie, soutient que les lignes de transport sont un peu la colonne vertébrale du réseau d’Hydro-Québec. «Lorsqu’une ligne de transport tombe en panne, des milliers de clients peuvent être affectés. L’objectif n’est donc pas d’éliminer toute la végétation présente, mais de conserver les essences compatibles avec le réseau, soit les arbres et arbustes de faible hauteur», mentionne-t-elle.
(La suite en page 2)
«Mettez-nous dehors!»
Rien toutefois pour apaiser la tristesse du couple de Lac-à-la-Tortue qui déplore le laisser-aller d’Hydro-Québec qui aurait, selon leurs dires, négligé le nettoyage à travers les années. Selon eux, c’est ce délai qui aurait occasionné un sort plus drastique pour la centaine de pins et d’épinettes en bordure de leur terrain.
«C’est un massacre, rien de moins pour nous!», se désole Mme Gingras en contemplant le vaste espace rasé qui l’entoure. «Mon époux et moi, on a plus envie de sortir sur notre terrain. On a perdu notre intimité, notre qualité de vie. Cela sans parler de la valeur de revente qui va en écoper», soutient la dame, visiblement affectée par la situation. Elle indique qu’à compter de l’automne, la section près de la lisière de leur terrain (propriété de la société d’État) passera également sous la scie enlevant du même coup bon nombre de la végétation restante.
Malgré des échanges téléphoniques, des courriels, ainsi qu’une plainte envoyée en bonne et due forme, le litige ne s’est pas résolu au goût du couple. «Quant à ça, mettez-nous donc dehors!», s’exclame l’époux de Mme Gingras, Didier-Antoine. «Pourquoi dérange-t-on maintenant, pourquoi n’y a-t-il pas d’avenues possibles? J’estime que les arguments apportés par les ingénieurs d’Hydro-Québec qui se sont déplacés sont fallacieux», laisse tomber le physicien qui doute du danger réel de la végétation rasée.
Le couple conclut qu’il ne souhaite à personne de vivre cette situation. L’idée de déménager vers une résidence plus accueillante leur trotte de plus en plus en tête. «On paie des taxes, mais pourquoi? Pour quel terrain payons-nous maintenant ? On se trouve à payer pour Hydro-Québec à la fin. C’est lui qui a l’emprise ici.»