Légalisation du cannabis: «J’ai peur de faire une rechute»

SANTÉ MENTALE. Mathieu, 22 ans, et Jo, 19 ans, ont repris leur vie en main après avoir fait des psychoses liées à leur importante consommation de cannabis. Aujourd’hui en réinsertion sociale au Centre d’entraide aux rayons du soleil dans le secteur Grand-Mère à Shawinigan, ils appréhendent la légalisation du cannabis.

«Je pense qu’ils ne devraient pas faire ça», estime Jo. «Au nombre de personnes qui ont des problèmes de dépendance et de santé mentale comme nous à cause de ça… je vois déjà les répercussions à grande échelle», s’inquiète-t-il.

Mathieu est plus nuancé. «Je ne suis pas nécessairement contre, mais j’avoue que pour moi qui essaie d’arrêter… le fait d’en voir sur la rue et que ce soit socialement accepté, ça me fait peur de faire une rechute.»

Si le cannabis est déjà accessible, ils croient que la légalisation incitera davantage les jeunes à consommer. «J’aurais sûrement commencé plus jeune si ça avait été légal, ça rend ça plus banal», croit-il.

«La consommation ça peut être le fun, ajoute-t-il, mais aussitôt que ça devient une routine, ça coûte cher et ta vie peut rapidement tourner autour de ça.»

Ils en savent tous les deux quelque chose.

De 20 à 200$ par semaine

Dépendance affective, intimidation, parents peu présents, anxiété, trouble de déficit de l’attention, dépression…

«Au début, la consommation de cannabis me rendait joyeux et bien dans ma peau», explique Jo qui a commencé à consommer à l’âge de 14 ans. «À un moment, ça ne me calmait plus et j’en voulais toujours plus. Ça m’a mené à la psychose à 17 ans.»

Mathieu a lui aussi décidé d’arrêter quand il a fait une psychose à l’âge de 18 ans. «Au début ça me coûtait 20$ par semaine. Je suis monté jusqu’à 200$ par semaine après trois ans. Je fumais partout, tout le temps. À un moment ce n’est pas assez, j’ai aussi commencé à consommer du speed.»

«C’est quelque chose être à jeun»

Mathieu et Jo sont respectivement à jeun depuis sept et trois mois.

«Ça faisait six ans que je n’avais pas été à jeun», explique aujourd’hui Mathieu. «C’est quelque chose être à jeun après six ans. Quand tu consommes beaucoup, c’est souvent parce que tu gèles un mal. Quand tu dégèles, ça pète. Je me suis rendu compte avec les thérapies que je bloquais mes émotions», explique-t-il.

«J’ai recommencé à sentir ma peau, mes membres. Je revenais à la réalité. J’ai recommencé à revivre mes émotions», appuie Jo.

Les deux jeunes hommes ont accepté de partager leur parcours avec le Périscope, une association de familles et de proches des personnes atteintes de maladie mentale.

 

Ça ressemble à quoi une psychose?

Des voix et des hallucinations: «Tu entends des voix, tu vois des choses, tu penses que c’est normal, mais tu es complètement dans un autre univers. Ça fait peur, tu paniques, tu deviens paranoïaque. Ça duré un bon douze heures. J’en ai fait trois. Ça m’arrive d’avoir des petits moments de déséquilibre.»  – Jo, 19 ans

Des insectes sur les murs: «J’ai commencé à voir des bibites partout sur les murs. Tu les vois et tu les sens sur tes bras. Tu deviens paranoïaque, tu vois des ombres, tu entends des voix. Tu fais le tour de ton appartement parce que tu es certaine qu’il y a quelqu’un. Ça a duré 36 heures. C’est ma voisine qui a appelé l’ambulance parce que je criais. Ça m’a pris quatre jours m’en remettre.» – Michael, 22 ans

 

La légalisation du cannabis vue par…

Le Centre d’entraide aux rayons du soleil: «Une banalisation inquiétante»

«Ce qui me fait peur et que je trouve inquiétant, c’est que la consommation sera banalisée», estime Patricia Dellow, directrice générale et clinique au Centre d’entraide aux rayons du soleil, organisme de réinsertion sociale en toxicomanie dans le secteur Grand-Mère. L’organisme se prépare à la légalisation en organisant des ateliers de sensibilisation et d’information dans les maisons des jeunes du territoire et auprès de la communauté.

Le Pavillon de l’Assuétude: «L’occasion de faire plus de prévention»

«La légalisation du cannabis ne va pas entrainer de changements important dans nos pratiques», indique Alexandre Ratté, directeur général du Pavillon de l’Assuétude, centre de traitement des dépendances à Shawinigan. «Ça n’inquiète pas nos membres. C’est déjà une pratique qui est banalisée. Ça ne veut pas dire qu’il faut minimiser les conséquences de la consommation. Soyons prudents, éduquons les jeunes comme il faut, apprenons-leur que c’est un produit qui n’est pas sans risques.»