Sylvain Fafard, le flic-philosophe

Mardi après-midi. Attablé dans un estaminet de la rue Willow, il sirote un allongé en feuilletant le journal. Longue chevelure nouée à l’arrière, menton surmonté d’une barbichette des révolutionnaires bolcheviques, Sylvain Fafard affiche le profil tout indiqué pour animer des discussions philosophiques.

Difficile à croire que cet homme de 47 ans a servi durant 23 ans au sein du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Le jeune retraité revient de loin. L’un des quatre spécialistes à l’époque en reconstitution de scènes d’accident dans la métropole, Sylvain Fafard raconte avoir été dépêché sur plus de 2000 accidents en carrière, dont environ 300 mortels, et témoigné lors de nombreux procès.

La dernière mission était de trop.

C’était en 2005. Son supérieur l’affecte à un accident de voiture mortel impliquant un enfant. La jeune victime est défigurée mais Sylvain Fafard découvre rapidement que c’est la fille d’un ami proche, qu’il la connaissait très bien.

Le système nerveux du spécialiste craque.

Le black out aura de son propre aveu duré cinq ans. «J’ai pété au frette. Je ne me rappelle plus rien de cette période», confie ce Trifluvien d’origine, exhibant une photo de lui durant ce calvaire, chauve et pesant 240 livres.

La dernière affectation a sapé sa structure mentale mais il estime que les premières fissures remontent à 1996 alors qu’il agissait comme Casque bleu en Haïti. Il dit avoir été témoin là-bas d’horreurs indescriptibles qui le hantent toujours aujourd’hui. «Côtoyer la mort durant vingt ans de temps, ça down le système», résume-t-il.

Diagnostiqué du Syndrome post-traumatique (SPT), le policier de la SPVM sera officiellement mis à la retraite en 2008. Son voyage dans les ténèbres se poursuivra jusqu’en 2010, moment où il reprend contact avec la réalité. «Mais on ne guérit jamais d’un SPT», précise-t-il, visiblement toujours fragile.

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Pour saluer sa résurrection, celui qui habite maintenant à Saint-Boniface opère un virage à 180 degrés et s’inscrit dans un baccalauréat en Philosophie à l’UQTR. «Ça m’a sauvé la vie, dit-il aujourd’hui. Ça me clarifie l’esprit. Ça met des mots sur mes maux.»

Marginal et anticonformiste

Se décrivant comme un anticonformiste, même lorsqu’il était dans les rangs policiers, Sylvain Fafard a comme principe que comprendre, c’est mieux qu’apprendre.

C’est armé de cette certitude qu’il anime les Bières philosophales au Trou du Diable à Shawinigan. À raison d’une fois par mois sur un thème précis, Fafard refait le monde, ou le défait, c’est selon. «J’aime les provoquer, les bousculer», raconte-t-il en parlant des participants qui prennent part aux discussions. Souvent des étudiants du Collège et de l’Université mais aussi quelquefois des clients qui viennent tout bonnement se joindre au débat.

Ce disciple de Platon, qui porte encore fièrement son badge de retraité de la SPVM dans son portefeuille, est loin de renier son passé. «Il y a beaucoup de préjugés véhiculés sur les policiers, déplore-t-il mais ce n’est pas un métier facile. Dans la société, il y a les criminels d’un côté, les policiers de l’autre, et la population dans le milieu. On oublie que tout comme les bandits, les policiers vivent eux-mêmes dans la marginalité et qu’entre les deux univers, la ligne est quelquefois mince.»

Marginal, le flic-philosophe le reste plus que jamais, tout comme demeure intact son aversion pour les injustices. Une combinaison gagnante pour alimenter des discussions philosophiques autour d’une bière…

On peut en savoir plus sur les soirées Bières philosophales en allant sur le site Internet www.troududiable.com ou sur Facebook, sur la page du groupe Bières philosophales