«J’ai senti que ma profession était menacée» -Perrine Gruson

DRAME. Mercredi, environ 11h30, heure de Paris. Deux hommes habillés de noir et cagoulés, armés de fusils d’assaut de type Kalachnikov, font irruption dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo, connu internationalement pour avoir publié les caricatures de Mahomet. L’attentat fait 12 morts et 11 blessés et, surtout, choque tout le monde, à commencer par les Français et les journalistes. Perrine Gruson est les deux à la fois. La journaliste de Québec Hebdo réagit à l’horreur.

«Paris c’est ma ville, j’y suis née. J’ai habité longtemps dans le 12e Arrondissement, juste à côté. Mon père travaille dans le 11e. Je me suis sentie concernée et je me suis demandé s’il allait bien», commence la jeune femme. Voilà pour son côté français. Quant à la journaliste en elle, elle a également été secouée. «Quand on est journaliste, on a des choses à dire. J’ai senti qu’on voulait nous en empêcher; j’ai senti que ma profession était menacée.»

La fusillade ouvre la porte à toute une série de questions, à commencer par celle de la sécurité. Si, dit-on, le Canada surveille attentivement une centaine de ses citoyens suspectés de se radicaliser, Perrine craint que la France ait beaucoup plus de boulot dans ce domaine. «Ici on dit que c’est dangereux les jeunes qui se radicalisent, mais en France, je pense que c’est encore pire. Ça doit être beaucoup plus difficile de traquer toutes les personnes suspectes. Et puis il n’y a pas de limites à ce que ça peut donner. Parce qu’en même temps, il faut faire attention de ne pas tomber dans l’islamophobie et devenir plus intolérant parce qu’on est bouleversé», estime la journaliste.

Comme bien des gens, elle craint les radicaux, quels qu’ils soient. «Des radicaux il y en a aussi chez les catholiques. Dans tous les cas, c’est dangereux. Ils se sont attaqués à un symbole de la démocratie. Les dessinateurs de Charlie Hebdo ne faisaient pas des caricatures pour s’amuser. C’était leur travail de dénoncer. De s’attaquer à eux, je trouve ça dommage. J’ai peur de comment la France va se sortir de ça. Des fois, je suis contente d’être loin, je me sens plus tranquille.»

Malgré tout, la Française résidente du quartier Saint-Sauveur depuis six ans reste optimiste. «J’ai peur pour les journalistes mais je ne pense pas qu’ils vont se taire. Ceux qui le feront n’auront pas compris et cèderont à la terreur», termine-t-elle.

D’autres réactions

Plus près du drame, la mère de Perrine Gruson a également réagi. «Ça m’a touchée plus que jamais parce que ça correspond à mon milieu social et intellectuel. Ce sont les valeurs post soixante-huitardes et l’esprit libertaire de mon époque, commence Anne Bousselet qui habite près de Paris. Quand on te dit ça, 12 morts, tu es suffoquée, mais quand en plus tu as fait des études de lettres, tu as étudié l’art de la caricature, ça te touche personnellement.»

Mme Bousselet n’hésite pas à condamner les tireurs et tous ceux qui seraient tentés de les imiter. «Pour en venir à commettre de tels actes, je crois que c’est un ensemble de facteurs: il y a plein de causes, mais avant tout ce sont des gens sûrement ignorants et stupides, bêtes et méchants et ils ont entre les mains des joujoux qui les rendent fous [les armes]. Comprendre l’humour, ça demande un certain niveau de culture et d’autodérision qu’ils n’ont pas. Et ils ont aussi peut-être perdu contact avec la réalité.»

Marie-Pier Kelly, originaire de Lebourgneuf mais étudiante à Nice, était également à Paris dans le cadre d’un voyage au moment du drame. «Hier [la journée de l’attentat], j’étais dans Montmartre dans une brasserie et une femme juive a commencé à s’engueuler avec le barman disant que ces hommes-là avaient bien fait. Les Français sont beaucoup touchés. Il y a aussi eu une fusillade ce matin [le lendemain de l’attentat] dans Montrouge et une policière en stage est décédée. Elle n’avait que 20 ans! C’est un peu stressant d’être ici ces jours-ci», conclut-elle.