La filière libano-syrienne de Shawinigan

COMMENTAIRE. Il est étonnant de lire depuis quelques semaines certains propos xénophobes concernant l’arrivée des réfugiés syriens au Canada.

Au Québec, treize villes – dont Trois-Rivières – ont été désignées pour recevoir cette vague de nouveaux arrivants. La capitale régionale accueillera donc sous peu environ 70 réfugiés Syriens. Shawinigan s’était montrée réceptive à figurer sur la liste mais son offre n’a pas été retenue.

Cette ouverture du maire Angers a été abondement critiquée sur les médias sociaux. Pourtant, s’il y a une ville au Québec, en dehors de la métropole, qui a bénéficié de l’afflux d’immigrants, c’est bien Shawinigan.

Ville industrielle naissante au début du XXe siècle, cette cité a été construite bien sûr par des milliers de Canadiens-Français comme on les appelaient à l’époque mais aussi par des centaines d’étrangers venus tenter leur chance dans ce petit coin d’Amérique du Nord. En 1949 par exemple, l’agglomération de Shawinigan comptait un total de 27 nationalités pour une population avoisinant les 37 000 habitants.

Des Français (Darchen), Italiens (Giacomo, Mastriani, De Vito), Irlandais (Hayes, Lynch), Écossais, Suisses, Allemands, Autrichiens, Bulgares (Georgeff), Chinois, Belges (Biermans, DeHauffe, Daeman, Trussart, Van Themsche), Anglais (Lawless), Hongrois (Buki), etc.

Des patronymes qui nous sont encore familiers aujourd’hui parce que leurs descendants demeurent toujours ici ou que leur contribution a été consacrée en désignant des rues à leurs noms.

Un siècle avant la vague actuelle de réfugiés, les villes de Shawinigan et Grand-Mère avaient elles-aussi accueilli une génération d’expatriés du Moyen-Orient. Curieusement, le groupe de Libanais (Hanna et Khalil Aboud) a élu pignon sur rue à Grand-Mère tandis que les Syriens (Anka, Janna et Kassar) s’établissaient à Shawinigan. Des mariages mixtes entre des membres des deux communautés ont suivi chez la génération suivante. Et puis, afin de bien marquer leur intégration chez les francophones, certaines familles ont modifié l’orthographe de leur nom (Callile) quand ce ne fut pas le patronyme au complet (Genest).

Ultime consécration, le clan Hanna avait reçu en 1998 le Mérite du Centenaire des autorités de Grand-Mère à l’occasion des 100 ans de la ville. La Grand-Mère Shoe (immeuble aujourd’hui occupé par la Coopérative de solidarité santé Le Rocher) et Bateaux Doral sont les deux principaux fleurons industriels attribuables à cette famille de gens d’affaires.

Ces libano-syriens ont aussi opéré dans notre ville durant des décennies des merceries, magasins de couvre-planchers, restaurants, commerces de détails avec de grands succès tout en étant des citoyens très impliqués et respectés dans leur milieu. Pour l’anecdote, cette filière comprenait aussi George Anka qui tenait un restaurant au centre-ville de Shawinigan dans les années 1940. Son neveu, le célèbre Paul Anka, venait séjourner durant l’été au chalet familial des Calille au lac des Piles.

Chaque époque est différente et les comparaisons demeurent délicates – les réfugiés de 2015 sont des musulmans tandis que ceux du début du XXe siècle étaient des catholiques romains ou orthodoxes – mais n’en demeure pas moins que les deux groupes se sont expatriés pour les mêmes raisons: fuir la guerre et les persécutions qui sévissaient alors dans leur pays.

L’histoire de Shawinigan est celle de milliers d’ouvriers francophones mais une portion s’est aussi construite avec la contribution de ces nouveaux arrivants venus d’outre-mer. L’histoire vaut encore aujourd’hui.