TRIBUNE LIBRE: Encore l’Assembly Hall

Bonjour M. le Maire Michel Angers,
comme tous les Grand-Mérois, j’ai grand-hâte d’être invité à visiter l’«Assembly Hall», ce joyau patrimonial qui domine l’entrée Est du secteur Grand-Mère et qui a fait l’objet d’importants travaux de restauration lui ayant redonné son éclat d’antan.

 La Ville de Shawinigan semble avoir fait là un travail remarquable de préservation. C’est ce que laisse voir l’allure extérieure de la bâtisse et ce que suggèrent les commentaires de ceux qui en ont vu l’intérieur. Plusieurs cependant craignent que l’inauguration de l’édifice puisse se faire sur fond de discorde.

À l’automne dernier, alors que l’état d’avancement des travaux laissait voir la qualité du résultat, le vieil édifice est redevenu pour les Grand-Mérois un objet de fierté, un symbole d’appartenance. Autant la dégradation et la démolition de l’Auberge Grand-Mère quelques années plus tôt avaient été perçues et vécues comme une métaphore et une dramatisation de l’état de délabrement du secteur, autant la restauration de l’Assembly Hall a été ressentie comme le signe d’une possible renaissance. «Tout n’est pas perdu. Il y a encore de la bonne sève dans les vieilles racines.»

La maladresse avec laquelle s’est faite l’intégration des villes fusionnées en 2001 dans le nouveau Shawinigan a provoqué en son temps chez les Grand-Mérois un traumatisme identitaire qui, depuis lors, nourrit aussi bien la rancœur et l’amertume des uns que le décrochage et le désengagement des autres. Mais jamais ils n’ont dit «non» à Shawinigan. Seulement ils ne voyaient pas quelle pouvait être leur place dans ce nouvel ensemble. Ils doutaient même qu’on voulût d’eux. Comme les vieilles pierres de l’Assembly Hall que l’on protège, comme l’ardoise et les cuivres de sa toiture que l’on restaure, comme les boiseries de ses salles et salons qui retrouvent leur éclat, la fierté endormie des Grand-Mérois se secoue, se décrasse, et se lève soudain. Ils retrouvent le goût de s’affirmer, de se nommer haut et fort, de prendre leur place dans la nouvelle ville. Ils demandent que le nom de leur secteur, le nom de Grand-Mère, devienne l’appellation principale de l’édifice restauré. Ils demandent qu’on donne à ce bel objet de leur fierté retrouvée le nom de «Maison de la culture de Grand-Mère».

Parce que l’appellation «Maison de la culture Francis-Brisson», donnée à l’édifice en 2004, ne leur semble pas en refléter la forte valeur identitaire, c’est plutôt à la salle de concert qu’ils proposent d’attribuer ce nom de «Francis-Brisson», en l’honneur de cet homme qui, en tant que directeur de l’Union Musicale de Grand-Mère (de 1956 à 1993), joua un rôle important dans l’histoire culturelle de l’ancienne ville. Ils proposent aussi de souligner l’importance de la «Laurentide» dans l’histoire locale en donnant aux deux salons de la Maison de la Culture le nom de deux entrepreneurs qui ont dirigés l’entreprise au début du XXe siècle et qui ont laissé leur marque dans l’imaginaire collectif: Georges Chahoon et Frederick Sabbaton.

La réception de cette demande par le Conseil municipal de Shawinigan a été tiède, pour ne pas dire froide. Et pourtant elle est logique et légitime. La maison de la culture est une coquille qui abrite salle et salons, comme Grand-Mère fut la coquille qui abrita les Brisson, Chahoon et Sabbaton qui l’ont faite. La Ville de Shawinigan et son Comité de toponymie seraient bien mal avisés de ne pas reconnaître ces faits et surtout de ne pas donner aux citoyens du secteur l’occasion unique qu’ils ont d’affirmer leur vieille appartenance grand-méroise dans leur nouvelle identité shawiniganaise.

D’autant plus que l’argumentation à laquelle vous avez eu recours en décembre dernier pour maintenir le nom de «Maison de la Culture Francis-Brisson» reposait d’abord sur un argument d’autorité, un argument de pouvoir du type "c’est pas comme ça que ça se fait", et ensuite sur un argument qui limite les faits historiques à l’histoire des seuls individus. C’est du moins ce que montrent les propos que vous attribuait Antoine Tremblay dans l’Hebdo du St-Maurice du 14 décembre 2011 ( http://goo.gl/457GK ): «le nom qu’ils (les signataires d’une pétition à cet effet) proposent est l’inverse de ce que nous sommes en train de faire un peu partout en identifiant chacun des bâtiments du nom de quelqu’un qui a marqué l’histoire». Cette façon de faire n’est pas mauvaise, mais elle a le défaut de ramener toute l’attention sur les individus qui ont marqué l’histoire en oubliant les groupes, les collectivités et même les événements et les paysages qui font aussi partie du patrimoine. On se doit de donner aux lieux de mémoire des noms qui rappellent non seulement les personnes, mais aussi les collectivités dont elles sont issues, les paysages où elles ont vécu, les événements qui ont marqué leurs vies. C’est ainsi que le nom de Grand-Mère doit être perpétué non seulement dans une abstraction administrative (Shawinigan, secteur Grand-Mère), mais aussi dans une réalité patrimoniale de grande qualité comme l’est le vieil Assembly Hall et dans lequel une collectivité locale se reconnaît. On pourrait même, pour cet édifice, réhabiliter l’apostrophe qui, suivant l’évolution de la langue, a été remplacée au milieu du siècle dernier par le trait d’union dans le nom de "Grand’Mère".

Je souhaite, M. le Maire, que tous entendent raison, vous-même, la Ville de Shawinigan, et le Comité de toponymie, de sorte que l’inauguration de la « Maison de la culture de Grand’Mère » se fasse sous un ciel sans nuages. Longue vie à Shawinigan et aux Grand-Mérois de Shawinigan.

André Hamel

Grand-Mère