TRIBUNE LIBRE: Mes racines saignent

Certains sujets me font rugir et perdre mes moyens, particulièrement lorsqu’on s’y attaque de façon fallacieuse, tendancieuse et avec une subjectivité évidente.

C’est malheureusement ce qu’a fait l’équipe d’Enquête dans son reportage « Risque public, profits privés », qui questionnait les liens entre l’organisme à but non lucratif qui gère l’équipe de la LHJMQ à Shawinigan, les Cataractes, et les actionnaires de l’équipe et qui faisait état de services dont les coûts sont assumés par la ville alors que l’équipe est présentement rentable.

J’admettrai d’entrée de jeu que je suis née à Shawinigan, que j’y ai grandi, que ma famille et ma belle-famille y sont toujours et que cet endroit occupe une place privilégiée dans mon cœur et mes souvenirs. J’ajouterai que l’entreprise qu’a bâtie mon père pendant près de 45 ans a toujours supporté l’organisation des Cataractes. Je peux donc difficilement être d’une objectivité et d’une impartialité exemplaires, ce qui ne m’empêche pas de dénoncer ouvertement la façon dont on a dépeint ma ville d’origine et critiqué le travail de relance de l’équipe de hockey de la LHJMQ.

Dans un premier temps, le citoyen « informateur » est lui-même en litige avec la municipalité pour une question d’enfouissement de fils électriques. Déçu du refus de la ville face à ses demandes, il avait promis une revanche. Dans le cadre du reportage, il a évidemment nié avoir agi par vengeance mais la question demeure pertinente et je crois qu’Enquête avait une obligation éthique et professionnelle de divulguer le potentiel conflit d’intérêt de cet individu.

Par ailleurs, le maire de la ville n’a pas été informé au préalable du sujet de l’entrevue et de la nature du reportage. Pris au piège, il n’a pu répondre adéquatement aux questions posées et ce n’est que le lendemain de la diffusion que la ville et l’organisation des Cataractes ont pu divulguer les informations financières destinées à dissiper les doutes semés par le reportage.

Enfin, on laisse sous-entendre que les hommes d’affaires impliqués dans la relance des Cataractes sont des bêtes assoiffées de pouvoir et d’argent, prêtes à magouiller pour s’en mettre plein les poches. Pourtant, ces gens ont assumé des risques financiers importants sans aucune garantie de succès. Si l’équipe a généré des profits en 2010 (236 621$) et en 2011 (268 139$), elle avait d’abord encaissé un déficit en 2009 et une fois l’actuelle effervescence de la Coupe Mémorial dissipée, les Cataractes pourraient à nouveau vivre des jours difficiles. Les entreprises qui ont participé au sauvetage des Cataractes étaient d’abord et avant tout motivées par le désir d’investir dans leur communauté, valeur répandue en région mais souvent étrangère aux grandes villes.

Au-delà du contenu tendancieux de son reportage, Enquête a choisi de dresser un portrait sombre et triste de Shawinigan, une ville qui serait en déclin et pour qui les Cataractes représenteraient l’unique source de fierté. On y parle d’un endroit laissé en décrépitude par la fin de l’ère industrielle et qui est menacée de disparition par sa population vieillissante. Je condamne férocement ce choix éditorial lequel, évidemment, s’harmonisait avec la couleur et le ton du reportage.

Je suis née et j’ai vécu à Shawinigan mais je n’y suis plus; on pourra me le reprocher dans les circonstances. Les études et le travail m’ont effectivement amenée ailleurs. Mais j’y vais dès que la vie me le permet et mes amis d’enfance font partie de cette extraordinaire relève qui s’est établie à Shawinigan, y fonde des PME, y fait des enfants, fait rouler l’économie et assure la survie et l’avenir de cette ville.

Shawinigan a connu de grandes épreuves au cours de son existence et elle a prouvé son indéfectible résilience. Nul doute qu’elle se relèvera de cette nouvelle droite au visage. Le reportage biaisé d’Enquête aura néanmoins blessé Shawinigan et ses citoyens qui se mobilisent depuis pour manifester leur attachement à leur ville et témoigner de leur solidarité dans l’adversité. Ce mouvement me touche, m’émeut et me rend plus que jamais fière de mes racines.

– Mélanie Dugré, Boucherville