Des doutes sur la viabilité du projet de TES Canada

ÉNERGIE.  Le projet de production d’hydrogène vert de TES Canada en Mauricie n’inquiète pas seulement les citoyens réfractaires à l’installation d’éoliennes sur le territoire, il suscite également le scepticisme de la chercheuse principale de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal.

Johanne Whitmore s’interroge notamment sur la pertinence d’allouer un bloc 150 MW d’hydroélectricité à une entreprise qui l’utilisera pour produire de l’hydrogène vert qui sera ensuite majoritairement transformé en gaz naturel synthétique (e-gaz) pour les besoins d’Énergir.

« L’électricité est très précieuse. On ne peut pas se permettre de la gaspiller dans des utilisations finales qui ne font pas de sens alors qu’il y a de meilleures alternatives pour diminuer nos gaz à effet de serre (GES). Ce projet est comme un peu une aberration énergétique. Nous ne sommes pas ici dans un esprit nécessairement d’économie circulaire », estime la spécialiste qui avait cosigné une lettre ouverte dans La Presse + à ce sujet en début d’année.

Dans son plan d’affaires, TES Canada prévoit produire 70 000 tonnes d’hydrogène vert dont les deux tiers seront transformés en e-gaz tandis que l’autre tiers est destiné à combler les besoins de l’industrie du transport responsable de 10% des GES.

« Pour l’instant, il n’y en a pas vraiment de camions qui roulent à l’hydrogène. Il y a quelques voitures qui ont été testées par le gouvernement, mais le programme a été discontinué par que les résultats n’étaient pas intéressants », poursuit Johanne Whitmore qui se dit en faveur de la production d’hydrogène, mais qui demande en contrepartie plus de transparence de la part du promoteur.

Un projet sans subvention?

La chercheuse rappelle que l’utilisation de l’hydrogène vert est avisée dans certains secteurs dit « sans regret », c’est-à-dire là où il n’y a pas d’autres options pour de l’électrification directe. « Ce sont des secteurs très ciblés comme la sidérurgie, les raffineries pétrolières ou la fabrication d’ammoniac pour l’industrie agricole par exemple. Ça prend énormément d’électricité pour faire de l’hydrogène vert. Dans le cas de TES Canada, il faut se demander si c’est la meilleure utilisation de notre électricité. Jusqu’ici, ça ne nous a pas encore été démontré. »

Johanne Withmore apporte aussi des bémols sur les affirmations de TES Canada voulant que le projet sera entièrement financé par le privé. « On ne parle pas de subventions directes comme dans le cas de Northvolt, mais les avantages fiscaux et les crédits d’impôt consentis à l’entreprise, c’est aussi de l’aide publique. Si le gouvernement subventionne les acheteurs de ce gaz naturel synthétique qui coûtera très cher, c’est au final les citoyens qui vont payer. »

90$ le gigajoule?

Avec Paul Martin, ingénieur chimiste et co-auteur de la lettre ouverte dans La Presse +, la chercheuse principale de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie a évalué que le e-gaz produit par TES Canada coûtera jusqu’à 90$ le gigajoule (GJ) contre 3$ pour le gaz naturel conventionnel et près de 25$ pour le gaz naturel renouvelable produit par exemple à partir des sites d’enfouissement. « Juste avec ces données, ça sonne l’alarme parce quand je parle aux gens qui sont dans l’industrie, je peux vous garantir que la majorité disent non à 90$ le gigajoule. »

Johanne Whitmore insiste pour dire qu’elle n’est pas contre le projet, mais que le promoteur se doit d’être plus transparent avec son plan d’affaires. « TES Canada affirme que son projet est essentiel pour la décarbonation du Québec. S’il est essentiel, il faut le démontrer en mettant cartes sur table, pas juste l’énoncer. Je pense que c’est le moins qu’il faut faire, surtout pour la Mauricie, parce que c’est votre territoire que vous êtes en train de partager, de céder une certaine partie de vos ressources. Je pense qu’il faut qu’il y ait un partage aussi, un peu comme un actionnaire. Pas juste dire que les éoliennes vont vous rapporter 10 000$ par année. Il faut qu’il y ait aussi une démonstration de comment ça s’inscrit dans tout le débat qui a cours actuellement sur l’énergie au Québec, pas juste à court terme, mais à long terme », conclut la chercheuse.