Le Lodge Weicker menacé de démolition

PATRIMOINE.  Un des derniers vestiges de l’époque des clubs de chasse et pêche en Mauricie est menacé de disparaître sous le pic des démolisseurs.

Avec le Domaine Beauséjour (Renshaw) à Saint-Gérard-des-Laurentides, les refuges Wabenaki et Andrew ainsi que la maison Vallerand dans le parc national, le Lodge Weicker au Camp Minogami est un des derniers témoins encore debout de la période, dans la première moitié du XXe siècle, où de richissimes Américains venaient taquiner le poisson ou tirer de la carabine dans la forêt bordant l’agglomération de Shawinigan.

Propriétaire de l’ancien domaine Weicker depuis 1963, la Corporation des Camps Odyssée a tenté à deux reprises depuis un an d’obtenir un permis de démolition de la Ville de Shawinigan afin de raser le bâtiment centenaire qui servait jusqu’en 2017 de cafétéria pour les jeunes et les moniteurs du camp Minogami.

Réuni pour évaluer la dernière demande le 13 mai dernier, le comité de démolition de la Ville, composé des conseillers Josette Allard-Gignac et Christian Hould, a reporté sa décision au 31 août prochain à la suite de l’intervention in extremis de Dominic Boisvert, un ancien employé du Camp Minogami.

Soulagé d’obtenir ce sursis, ce défenseur du patrimoine bâti s’interroge toutefois sur le degré d’intérêt porté par le Conseil local du patrimoine de Shawinigan dans ce dossier. Dans un échange courriel avec L’Hebdo, Dominic Boisvert souligne avoir alerté il y a près d’un an le Conseil local du patrimoine au sujet de la menace qui planait au-dessus du Lodge Weicker. 

« Le CLP avait été interpellé par le dossier puisqu’il avait recommandé au comité de démolition de refuser la première demande de permis de démolition déposée par le camp l’été dernier. Mais par la suite, on dirait qu’il a laissé flotter le dossier plutôt que de l’étudier. J’aimerais comprendre pourquoi le Conseil local du patrimoine ne semble pas avoir porté beaucoup d’intérêt à ce bâtiment au cours de dernier mois », écrit celui qui a établi dans les derniers mois un contact avec un membre de la famille Weicker en Californie pour le tenir au courant de l’évolution du dossier. 

La famille Weicker

C’est à Theodore Weicker, un richissime homme d’affaires américain ayant fait fortune dans le secteur pharmaceutique, qu’on doit l’aménagement de ce qui est aujourd’hui le Camp Minogami, dans le secteur Saint-Gérard-des-Laurentides. Membre du club de chasse et pêche du Laurentien Club, le millionnaire acquiert en 1910 pour environ 1000$ (27 000$ en dollars d’aujourd’hui) un lot de 1300 acres sur les rives du lac à la Truite.

Il baptise les lieux du nom de Mino Gami (petit lac à l’eau claire) et y fait construire une vingtaine de bâtiments, dont le principal, le Lodge Weicker. L’Américain revient annuellement en Mauricie avec son épouse et ses quatre enfants.

À son décès en 1940, le domaine Weicker est repris par son fils Frederick, un géant de 7 pieds et 4 pouces, qui se prend d’affection pour la population locale. Éleveur de bestiaux au Mexique, ce francophile, réputé bon vivant, revient régulièrement à Saint-Gérard-des-Laurentides à bord d’un hydravion. Un lit format géant – toujours existant aujourd’hui – lui était d’ailleurs réservé lorsqu’il avait pris un verre de trop chez ses amis américains au Domaine Beauséjour, sur les rives du lac Perchaude.

Au début des années 1950, Frederick Weicker fait même aménager une pente de ski sur le site qu’il ouvre à la population de Shawinigan et des environs. Un trophée Mino Gami y est mis en jeu parmi les compétiteurs. Le gagnant ayant droit à un séjour de 10 jours au Mont Tremblant.

De la Ville à Camps Odyssée

Le décès prématuré du géant en 1955 met un frein à ce centre de ski naissant. La famille du défunt ne partageant pas son amour de la Mauricie, le site est cédé en 1957 gracieusement au Club des loisirs de Shawinigan, un cadeau évalué à l’époque à 150 000$. Seule condition: y maintenir le centre de ski!

Ne possédant pas les moyens financiers du défunt propriétaire, l’organisme se voit dans l’obligation de cesser d’opérer les lieux en 1960. Le club Mino Gami est loué en 1961 et 1962 au ministère des Terres et Forêts qui le transforme en camp forestier pour ses ouvriers.

Le site est enfin cédé en 1963 à la Corporation du Camp-École Trois-Saumons – qui deviendra Camps Odyssée – qui lui donne son nom actuel: le Camp Minogami. Le lac à la Truite devient aussi officiellement le lac Minogami. Une centaine de jeunes garçons dont 20% de langues étrangères – les filles n’arriveront qu’en 1965 – seront les premiers à y séjourner à l’été 1963.

L’aventure vient cependant près d’être de courte durée puisque la création du parc national de la Mauricie en 1970 devait à l’origine mener à l’expropriation du Camp Minogami. Des tractations en hauts lieux évitent cependant d’en arriver là, ce qui permet à Camps Odyssée de poursuivre ses activités en Mauricie encore aujourd’hui, 61 ans plus tard.

La section portant sur l’historique du domaine Weicker est tirée en grande partie d’un reportage paru dans L’Hebdo du Saint-Maurice en 2013.