Nathalie Blais : gardienne de la tradition

AFFAIRES.  À l’heure où les ateliers du type « Répare ton truc » pour donner une 2e vie aux objets gagnent en popularité, un métier qui en fait son gagne-pain est en voie de disparition…

Selon les données gouvernementales les plus récentes, un peu plus de 600 travailleurs au Québec se définissaient comme cordonnier dans la case Profession. « Ce n’est pas compliqué. Il n’y en a plus pantoute », lance Nathalie Blais, propriétaire de Cordonnerie Royale à Shawinigan et cordonnière de métier, tout comme son père André et son grand-père Ovila.

Dans les années 1970, ce sont plus de vingt cordonneries qui avaient pignon sur rue dans les agglomérations de Grand-Mère, Shawinigan et Shawinigan-Sud. Dans les campagnes, chaque village avait son cordonnier.  « À part nous autres en Mauricie aujourd’hui, il ne reste plus que Carol Binet à Trois-Rivières », mentionne Steve St-Arnaud, conjoint de Nathalie Blais et responsable du service à la clientèle à la cordonnerie.

Du fait de cette rareté, les clients de Cordonnerie Royale viennent des quatre coins de la Mauricie pour venir faire réparer leurs objets. « On en a de La Tuque, Louiseville, Saint-Alexis-des-Monts. On a aussi des clients de Montréal en visite chez leur famille à Shawinigan qui en profitent pour laisser leurs réparations et revenir les chercher deux semaines plus tard », souligne Nathalie Blais qui amorce cette année sa 35e année comme cordonnière.

« J’avais étudié en couture à Val-Mauricie. Après quelques années à travailler à Montréal, mon père m’avait dit qu’il avait besoin de quelqu’un pour l’aider. Je l’ai essayé et je suis ici depuis 1989 », sourit Nathalie Blais, officiellement propriétaire depuis 2001. « J’ai grandi là-dedans. Quand j’étais petite, mon père me donnait des retailles de cuir et je m’amusais à fabriquer des bracelets ou à installer des boutons pression. »

La cordonnerie familiale a été fondée en le 15 avril 1939 par Ovila Blais. Lors de travaux de rénovation, la famille avait d’ailleurs découvert un petit bout de papier sur lequel était inscrit le premier achat : une paire de chaussures neuve vendue au prix de 2,80$. Sur quatorze enfants, trois ont suivi les traces du patriarche: André, Jean-Claude et Normand, ce dernier ayant longtemps opéré la Cordonnerie Blais à Shawinigan-Sud.

« Dans le temps, une cordonnerie, c’était 80% de la réparation de talons et de semelles tandis qu’aujourd’hui, ça ne représente plus que 20%. Maintenant, les clients nous apportent des valises, des tentes, des sacoches, des sacs de construction. On est devenu en quelque sorte une centre de réparation beaucoup axé sur la couture », explique la cordonnière que son mari décrit comme la meilleure couturière au Québec.

Soixante heures par semaine

Du fait qu’ils sont peu nombreux, les bons cordonniers ne manquent jamais de travail, même que parfois ils en ont trop. Nathalie Blais consacre environ une soixantaine d’heures dans une semaine normale. C’est au décès de son père André il y a sept ans que son conjoint Steve a quitté son travail pour venir l’épauler. « On forme une bonne équipe, mentionne la cordonnière. Moi, je suis dans l’atelier pour les réparations et lui, sur le plancher avec les clients. »

Il y a une couple d’années, Cordonnerie Royale a renoué avec la vente de chaussures et de bottes de travail, un marché qui avait été abandonné à l’arrivée des Wal-Mart et cie.  « Les gens comparaient les prix et on ne pouvait pas rivaliser, explique Steve St-Arnaud qui a décidé d’y revenir, mais avec des produits un peu plus dispendieux, mais de meilleure qualité. Un pari bien relevé jusqu’ici.

À 57 ans, la Shawiniganaise se dit toujours aussi passionnée par son métier. « C’est différent tous les jours. Il y a toujours des défis. Les clients nous apportent des objets qu’on n’a jamais réparés et on doit trouver comment y arriver. On marche aussi beaucoup avec les saisons. L’hiver, ce sont les bottes; l’été, les sandales. Ou pendant la chasse ou le Festival Western, c’est »

Leurs deux filles ayant leur propre occupation, il n’y aura sans doute pas une 4e génération de Blais à occuper le métier de cordonnier à Shawinigan. Tant que la santé sera là, le couple se donne encore une bonne dizaine d’années à desservir la clientèle. « Comme on aime voyager, on va peut-être ralentir la cadence au début de la soixantaine. Ce n’est pas un commerce où tu te ramasses une fortune compte tenu des heures que tu y mets, mais c’est un métier qui offre un bon équilibre entre le travail et la qualité de vie », termine Nathalie Blais.

Le saviez-vous?

Il n’existe pas de formation au Québec pour devenir cordonnier. La seule façon de se former consiste à apprendre les trucs du métier auprès d’un mentor. Avant que les souliers ne soient fabriqués de façon industrielle, la profession de cordonnier consistait à fabriquer des chaussures tandis que les savetiers étaient chargés de les réparer. C’est au début des années 1900 que les cordonniers tels qu’on les connaît aujourd’hui apparaissent dans les villes et villages du Québec.