L’ancien premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra a été libéré sous condition

BANGKOK — L’ancien premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra a été libéré sous condition, dimanche matin, d’un hôpital de Bangkok où il a passé six mois à purger une peine pour des délits liés à la corruption.

Thaksin a été vu portant un support cervical à l’intérieur de l’une des voitures d’un convoi quittant l’hôpital général de la police juste avant le lever du soleil. Il était accompagné de ses deux filles et ils sont arrivés à sa résidence dans l’ouest de Bangkok moins d’une heure plus tard. 

Une banderole où on pouvait lire «Bienvenue à la maison» et «Nous attendons ce jour depuis si longtemps» a été vue accrochée au portail d’entrée de sa maison. Thaksin et ses filles sont entrés directement dans l’enceinte et n’ont pas réagi à la foule de journalistes rassemblés dans la rue.

Thaksin a été accusé de corruption et d’abus de pouvoir au cours de son mandat de 2001 à 2006, lorsqu’il a été renversé par un coup d’État, et il reste l’une des figures les plus polarisantes de la politique thaïlandaise au cours des deux dernières décennies. Les analystes estiment que sa libération représente une tendance à la réconciliation avec ses ennemis de l’élite conservatrice thaïlandaise, qui estimaient sa popularité et sa politique populiste effrontée comme une menace pour la monarchie, considérée comme le fondement de la société thaïlandaise.

On pense que Thaksin exerce toujours une grande influence et qu’il continuera à «diriger la musique en coulisses» pour le parti au pouvoir, le Pheu Thai, dirigé par sa fille Paetongtarn Shinawatra, mais l’étendue du pouvoir politique qu’il peut désormais exercer n’est pas claire, a expliqué Thitinan Pongsudhirak, professeur de sciences politiques à l’université Chulalongkorn de Bangkok.

Sa peine initiale de huit ans a été réduite à un an seulement par le roi Maha Vajiralongkorn le 1er septembre. Thaksin avait qualifié ses convictions de motivées politiquement.

Le ministre de la Justice, Tawee Sodsong, a confirmé la semaine dernière l’approbation de la libération conditionnelle de Thaksin, citant la possibilité d’une libération anticipée pour les détenus souffrant de maladies graves, handicapés ou âgés de plus de 70 ans. Thaksin a 74 ans.

Thaksin devra toujours se présenter aux agents de libération conditionnelle chaque mois pour le reste de sa peine et il sera soumis à des restrictions de voyage, mais il n’est pas obligé de porter un moniteur de cheville en raison de son âge et de son état de santé, ont indiqué des responsables.

Il n’a pas encore surmonté tous les obstacles juridiques. Les responsables thaïlandais ont déclaré plus tôt ce mois-ci qu’ils avaient rouvert une enquête sur les allégations de diffamation envers la monarchie portées contre Thaksin il y a près de neuf ans. Si le bureau du procureur général décide de l’inculper, Thaksin pourrait être de nouveau détenu.

Thaksin est rentré dans son pays natal le même jour où Srettha Thavisin du parti Pheu Thai – la dernière incarnation d’une série de partis soutenus par Thaksin depuis qu’il a été démis de ses fonctions – a obtenu le poste de premier ministre avec le soutien de partis liés à l’armée. Thaksin a été envoyé directement en prison après son arrivée, mais il a été transféré presque immédiatement à l’hôpital pour des raisons de santé, sans passer une seule nuit derrière les barreaux.

Ses opposants ont affirmé que purger sa peine dans un hôpital était un privilège spécial.

L’image du Pheu Thai compromise, selon une professeure

Après son éviction en 2006, les partisans et les opposants de Thaksin ont continué leur lutte avec de violents combats dans les rues, des luttes électorales, des confrontations devant les tribunaux et un autre coup d’État en 2014, qui a renversé un gouvernement formé par la sœur de Thaksin.

Thaksin, un milliardaire des télécommunications qui a utilisé sa fortune pour créer un parti politique populiste, était autrefois considéré comme le symbole d’une Thaïlande différente. Les partis qu’il a contrôlés sont arrivés en tête de toutes les élections générales jusqu’à l’année dernière, lorsqu’un rival plus progressiste est arrivé en tête. La victoire inattendue du parti Move Forward témoigne d’un mandat fort des électeurs en faveur d’un véritable changement structurel dans la politique thaïlandaise, et ses propositions politiques réformistes ont alarmé les forces conservatrices plus que le parti Pheu Thai ne l’a jamais fait.

Thaksin a annoncé son intention de revenir quelques jours seulement avant que la Thaïlande ne se rende aux urnes l’année dernière, lorsque le parti Pheu Thai était considéré comme le favori. Son mouvement s’est estompé après que le parti ait terminé deuxième aux élections, mais après des retards répétés, son plan de retour a semblé se solidifier alors que Move Forward luttait pour gagner suffisamment de soutien pour former le gouvernement.

Move Forward a été empêché de prendre le pouvoir lorsque les membres du Sénat nommés par l’armée ont refusé d’approuver son candidat au poste de premier ministre.

Les partis soutenus par l’armée ont obtenu de mauvais résultats lors des élections, et l’établissement conservateur royaliste thaïlandais aurait favorisé la réconciliation avec la machine politique de Thaksin afin de maintenir hors du pouvoir le parti plus progressiste Move Forward. Le Pheu Thai, arrivé en deuxième position, a alors mis sur pied une coalition gouvernementale comprenant des partis conservateurs, acceptable pour le Sénat, et a formé le gouvernement actuel.

Le Pheu Thai a depuis assoupli sa ligne antimilitaire et les nombreux programmes de réformes qu’il avait promis pendant la campagne électorale.

Le véritable changement que les électeurs espéraient voir après les élections est devenu improbable sous ce gouvernement, et le parti Pheu Thai «fonctionne désormais comme un représentant des forces conservatrices thaïlandaises pour maintenir le statu quo», a déclaré Puangthong Pawakapan, professeure de sciences politiques à l’université Chulalongkorn.

Mme Puangthong estime que le Pheu Thai a perdu un nombre important de partisans et que l’image du parti est compromise après les manœuvres auxquelles il a eu recours pour prendre le pouvoir, mais elle pense que cela n’affectera pas la stabilité du gouvernement tant que le parti «ne touchera pas à l’ancien pouvoir et aux grands capitalistes».