Apprendre à tirer le plein potentiel de sa timidité

MONTRÉAL — Réalistes, attentionnés, modestes, travaillants, confortables avec la solitude, tout sauf ennuyants; les introvertis, les timides, ont des superpouvoirs insoupçonnés. C’est du moins la thèse de Louis-Philippe Rivard, qui vient tout juste de publier La revanche des timides, un bref essai biographique qui encourage d’autres timides à sortir de leur coquille.

Le principal intéressé l’admet d’emblée: il y a quelques années, il aurait passé une nuit blanche à l’idée d’accorder une entrevue à l’auteure de ces lignes. Plus maintenant.

«J’ai l’impression qu’on change pas tant notre fond. Je vais toujours rester timide, mais j’ai appris à l’être sans que ça nuise à l’atteinte de mes rêves et de ce que je veux faire», confie le scripteur, inséparable de sa conjointe, l’humoriste Josée Boudreault avec qui il a offert des centaines de conférences.

Et ce n’est pas de changer que l’auteur propose aux lecteurs qui se reconnaîtront dans son propos, coloré par diverses anecdotes parfois humoristiques, parfois gênantes, mais surtout très humaines; il y va plutôt de quelques conseils pour tirer le maximum de potentiel de sa timidité.

«C’est positif; on ne change pas, mais on peut apprendre à se servir de nos qualités un peu mieux, à les mettre plus de l’avant au lieu de se concentrer sur nos défauts, allègue M. Rivard. On peut vraiment faire de belles choses.»

Une place à se tailler

Quelle place accorde-t-on à la timidité dans la société d’aujourd’hui?

Il importe ici de distinguer la timidité naturelle d’une personnalité introvertie et d’un trouble d’anxiété sociale qui, bien que tous des incarnations de la timidité, se manifestent à des niveaux différents.

«Ce n’est pas parce qu’on est timide qu’on souffre de phobie sociale, avance la psychologue Danielle Amado. Il y a un chevauchement entre les deux, parce que les deux traits sont sur un même continuum, mais il y a une différence. En fait, les timides vont être plus prompts à faire certains pas, à surmonter leur gêne.»

«En fait, tout le monde peut être timide, mais dans des contextes différents, nuance pour sa part la psychologue Violaine Dasseville. Quelqu’un d’extraverti peut devenir timide sur une scène alors que quelqu’un de timide, mais avec un rôle bien défini, pourrait s’y sentir très à l’aise. L’anxiété sociale peut s’effacer quand on sait exactement à quoi s’attendre.»

De plus, la perception de la timidité varie d’une société à l’autre; si en Amérique du Nord, la prise d’initiative et l’extraversion sont valorisées, ce n’est pas nécessairement le cas ailleurs.

«Une étude menée dans les années 1990 avait permis de constater que les mères américaines étaient catastrophées que leur enfant soit timide ou réservé alors que les mères japonaises étaient plus scandalisées quand leur enfant était extraverti», relate Dre Amado.

«Mais ce n’est pas parce qu’ici, la société valorise les personnes extraverties que les timides ont moins de valeur, renchérit-elle. Mais comme ils ne répondent pas à ce que la société attend d’eux, ils peuvent se sentir freinés, moins remarqués.»

Oui, il y a de la place pour les timides dans notre univers, reconnaît Louis-Philippe Rivard, mais c’est à ceux-ci de l’occuper. «Ça n’est pas à ceux qui n’ont pas ce problème de nous surprotéger et de faire attention aux timides, allègue-t-il. C’est à nous autres de faire l’effort de sortir de notre coquille et de demander ce qu’on veut, de dire ce qu’on a à dire.»

Or, même si notre société semble construite pour les gens extravertis, les timides ont été en mesure de s’y trouver une place, une place qui grandit depuis quelques années, allègue Dre Dasseville.

«Les personnalités dites « hors normes », parce qu’elles ne correspondent pas à ce qui est préconisé, sont de plus en plus présentes dans les médias, dont les séries et les films, détaille la psychologue. Je pense à des personnes plus « nerd », plus réservées ou même de type Asperger, qui sont moins à l’aise avec les codes sociaux.»

«La différence est de plus en plus valorisée», ajoute-t-elle, précisant que plusieurs corps de métier et emplois correspondent au niveau d’aisance des personnes timides, qui peuvent dès lors vivre une vie tout à fait épanouie.

La pandémie, mais surtout les nouveaux outils de communication, ont aussi été d’une grande aide pour les timides, soutient Dre Amado.

«Il est possible de vivre sa timidité avec toute la technologie, où les contacts sociaux sont davantage virtuels, précise la psychologue. Ça permet de renforcer l’évitement social ou de contrôler davantage ses interactions avec les autres.»

Elle mentionne l’exemple des jeunes, qui communiquent davantage par textos ou sur les réseaux sociaux. «Quand je leur demande s’ils se sont parlé, ils me disent que oui, mais on doit nuancer: ils se sont écrits, mais ne se sont pas parlé de vive voix», note Dre Amado.

Louis-Philippe Rivard est d’accord que la technologie peut aider à communiquer quand on est timide, mais elle ne doit toutefois pas devenir une béquille, prévient-il. «Dès qu’on est trop confortable pour contourner notre timidité, on doit se ressaisir», dit l’auteur.

«Petite poussée amicale»

Même si elle n’est pas un défaut, la timidité n’est pas immuable, indique Dre Amado. «L’idée ça vaut pour la timidité ou n’importe quel trait de personnalité : c’est un biais de fonctionnement. À partir du moment où on en prend conscience, on peut moduler notre comportement pour mieux s’épanouir», indique-t-elle.

M. Rivard estime qu’une manière de surmonter sa timidité est de se proposer, chaque jour, des «micro-missions» qui, sans être trop difficiles, représentent de petites sorties de sa zone de confort. En ce sens, il espère que son offrande servira de «petite poussée amicale donnée aux timides».

«Ça peut être aussi simple que de poser une question ou de prendre la parole dans une réunion d’équipe quand on ne le fait jamais ou d’entretenir la conversation un peu plus longtemps avec quelqu’un, illustre l’auteur. Quand c’est fait, ton défi est accompli pour la journée et tu peux retourner dans ta timidité!»

Ces petites épreuves qu’on s’impose finissent par porter leurs fruits, estime M. Rivard. «Je trouve qu’un des plaisirs de la vie – c’est en vieillissant qu’on le réalise- c’est d’essayer des choses: avoir un peu peur, oser et faire la petite chose de plus. J’ai l’impression que je suis où j’en suis dans ma vie en raison de ma timidité, que c’est elle qui m’a mis au défi de me rendre là.»

———

Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.