Changements climatiques: les risques de maladies infectieuses s’étendent vers le nord

Les cas de maladie de Lyme ont maintenant augmenté de plus de 1000 % en une décennie, les changements climatiques repoussant les limites d’un éventail d’agents pathogènes et de facteurs de risque vers le nord.

Des populations d’espèces de moustiques exotiques susceptibles d’être porteuses de maladies telles que la dengue et la fièvre jaune se sont établies dans certaines régions de l’Ontario, selon des chercheurs. Les scientifiques craignent également que les changements climatiques n’augmentent les risques de maladies microbiennes associées à la contamination des aliments et au temps chaud.

Il y a 15 ans, Justin Wood, étudiant en Ontario, a commencé à se sentir malade. Il a raconté qu’il a «fallu environ quatre ou cinq ans pour obtenir un diagnostic».

Quand il est arrivé, le diagnostic était rare : la maladie de Lyme. À l’époque, la maladie transmise par les tiques n’était responsable que de quelques centaines d’infections par année au Canada, selon les statistiques gouvernementales.

L’expérience de M. Wood a au moins un point positif. Cela l’a mis sur la voie d’une carrière, et il dirige aujourd’hui un laboratoire privé en Ontario, appelé Geneticks, qui se consacre aux tests de dépistage des maladies chez les tiques.

Il a affirmé que son travail lui permet de rencontrer de nombreuses personnes «lourdement, lourdement handicapées» à cause de la maladie de Lyme. «C’est très, très grave et les symptômes peuvent être très, très divers mais très, très débilitants.»

Santé Canada indique que les symptômes vont des éruptions cutanées et des maux de tête aux douleurs articulaires sévères et à la perte de mémoire. Dans de rares cas, cela peut entraîner la mort par infection cardiaque.

M. Wood a déclaré que le nombre de détections de Borrelia burgdorferi, la bactérie responsable de la maladie de Lyme, avait récemment augmenté dans son laboratoire d’environ 0,5 % à 1 % par an.

Cela ne semble pas grand-chose, mais l’éventail des tiques à pattes noires porteuses de la bactérie s’élargit ; elles deviennent plus actives et vivent plus longtemps, a-t-il déclaré.

«Cela signifie que de plus en plus de tiques naissent chaque année et que le nombre de tiques au Canada continuera d’augmenter», a expliqué M. Wood.

Il a déclaré qu’entre 50 millions et 175 millions de tiques arrivaient au Canada chaque printemps sur des oiseaux chanteurs migrateurs.

«Donc, vous additionnez en quelque sorte tout cela, et vous avez plus de tiques, vous avez des tiques dans de nouveaux endroits, vous avez plus de tiques transportant des bactéries dangereuses, et cela devient une sorte de problème croissant chaque année», a détaillé M. Wood.

Les données de surveillance le soutiennent. Un rapport fédéral indique qu’il y a eu 3147 cas signalés de maladie de Lyme au Canada en 2021, contre 266 en 2011.

«Cette (augmentation) s’est produite en partie à cause des changements climatiques, qui ont contribué à l’augmentation de l’abondance et de la répartition géographique des populations de tiques à pattes noires dans le centre et l’est du Canada», précise le rapport, ajoutant qu’environ 1 % des cas de maladie de Lyme au Canada ont été contractés à l’étranger.

Les conditions météorologiques du Canada ont déjà servi de barrière contre de nombreuses maladies du temps chaud, comme la dengue, le virus Zika, le paludisme et la fièvre jaune, qui sont toutes véhiculées par certaines espèces de moustiques.

Mais les conditions changent, a déclaré Victoria Ng, évaluatrice scientifique principale à l’Agence de la santé publique du Canada.

«Avec les changements climatiques, le temps sera plus humide, avec davantage d’événements météorologiques extrêmes, qui pourraient être des précipitations extrêmes, et les moustiques ont besoin d’eau pour pouvoir survivre», a expliqué Mme Ng.

Mme Ng a noté qu’à Windsor, en Ontario, il y a désormais une population «en petit nombre» d’Aedes albopictus, connus sous le nom de moustique tigre, originaires des régions tropicales et subtropicales d’Asie.

La Santé publique de l’Ontario a annoncé la détection de la première population reproductrice d’Aedes albopictus à l’automne 2016 à Windsor. Une autre espèce exotique, Aedes aegypti, originaire d’Afrique, a également été détectée pour la première fois.

«Ces espèces de moustiques sont des piqueurs agressifs pour les humains et des vecteurs potentiels des virus de la dengue, du chikungunya, de la fièvre jaune et du Zika dans les régions les plus chaudes du monde», a indiqué l’agence.

À l’époque, l’organisation avait déclaré qu’elle ne s’attendait pas à ce que l’une ou l’autre espèce survive à l’hiver ontarien.

Toutefois, Mme Ng a raconté que les scientifiques ont non seulement vu des Aedes albopictus revenir toute l’année dans la région, mais ils les ont également observés à différents stades de leur vie.

«Nous voyons les œufs de cette espèce particulière devenir des adultes, ce qui signifie qu’ils ont un cycle de vie complet et qu’ils se reproduisent d’année en année dans cette région du Canada», a déclaré Mme Ng.

Elle a dit qu’il s’agissait d’un exemple d’une population de moustiques, «en particulier ceux qui sont porteurs de virus exotiques», ayant «le potentiel de continuer à rester établis, mais aussi de s’étendre géographiquement à cause du réchauffement climatique».

La préoccupation des maladies d’origine alimentaire

Le Dr Joe Vipond, médecin urgentiste et ancien président de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement, a déclaré que le nombre de cas de maladies transmises par les moustiques a «augmenté lentement» au cours des 20 dernières années.

«Ce qui est inquiétant, c’est qu’à un moment donné, nous serons confrontés à des maladies comme la dengue ou le paludisme qui pourraient s’étendre jusqu’au Canada», a déclaré le Dr Vipond.

Il a cité l’exemple de la Floride, où la dengue n’existait pas autrefois. Mais l’année dernière, le ministère de la Santé de l’État américain a placé deux comtés sous alerte aux maladies transmises par les moustiques après que cinq cas de dengue ont été signalés en moins d’un mois.

Il faudrait des «changements radicaux» pour que la dengue devienne une préoccupation pour les Canadiens, a-t-il dit, ajoutant qu’il ne s’agissait pas d’une «préoccupation actuelle», mais «d’ici quelques décennies».

Un article de 2019 paru dans la revue Relevé des maladies transmissibles au Canada indiquait que même s’il n’y avait aucune preuve de propagation de maladies au Canada via de nouvelles populations de moustiques exotiques, le problème nécessitait «une réponse clinique et de santé publique prudente».

«Bien que le risque à court terme d’incursion et d’établissement de maladies exotiques (transmises par des moustiques) au Canada, facilité ou exacerbé par les changements climatiques, soit très faible, il est réalisable.»

Il a déclaré que le paludisme était «particulièrement préoccupant» parce que la maladie était autrefois endémique au Canada.

Une menace plus actuelle est celle des maladies d’origine alimentaire associées au temps chaud.

«À mesure que les changements climatiques se poursuivent et/ou s’intensifient, ils augmenteront le risque d’effets négatifs sur la sécurité alimentaire au Canada, allant d’un fardeau accru pour la santé publique à l’émergence de risques actuellement inédits dans notre chaîne alimentaire», a indiqué un article de 2019 dans le Relevé des maladies transmissibles au Canada, par des scientifiques du Laboratoire national de microbiologie de Guelph, en Ontario.

Il cite des études montrant une «forte association» entre l’augmentation des températures de l’air et diverses infections à la bactérie E. coli, à la salmonelle et aux bactéries Vibrio.

«La croissance, la survie, l’abondance et la diversité des agents pathogènes seront affectées par les changements climatiques tout au long de la chaîne alimentaire», indique le rapport.

Les phénomènes météorologiques extrêmes et le réchauffement des océans compliqueraient également les effets sur la chaîne alimentaire et entraîneraient à terme davantage de maladies d’origine alimentaire, selon le rapport.

La maladie de Lyme n’est pas le seul agent pathogène transmis par les tiques qui préoccupe les scientifiques, car les changements climatiques élargissent l’aire de répartition des porteurs.

Un rapport publié par le Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique en 2023 indiquait que deux types de parasites transmis par les tiques, Babesia odocoilei et Babesia microti, étaient des agents pathogènes récemment apparus dans la province. Ils provoquent la babésiose, une maladie présentant des symptômes pseudo-grippaux.

«On peut s’attendre à ce que les changements climatiques facilitent la présence de ces maladies transmises par les tiques», peut-on lire dans le rapport.