Des milliers de Québécois saluent le «sapin géant», Karl Tremblay
MONTRÉAL — Les amateurs éplorés du chanteur des Cowboys Fringants, Karl Tremblay, ont pu le saluer une dernière fois, mardi soir, mais aussi célébrer tout l’héritage de celui qui a porté les foules pendant des dizaines d’années au Québec et dans toute la francophonie.
«Je t’aime, Karl Tremblay. On t’aime, notre gros. Notre sapin géant. Tu vas rester dans nos mémoires pendant tellement longtemps», a affirmé Marie-Annick Lépine, sa conjointe des 20 dernières années et comparse du groupe, lors de la cérémonie d’hommage national.
Le chanteur des Cowboys Fringants s’est éteint le 15 novembre dernier à l’âge de 47 ans, laissant tout le Québec en deuil d’un groupe qui aura marqué son histoire.
Quelques milliers d’admirateurs se sont entassés dans le Centre Bell pour assister à la cérémonie, organisée conjointement par la famille et le gouvernement du Québec. Des centaines de milliers d’internautes écoutaient sur les réseaux sociaux l’événement, qui était aussi projeté à l’extérieur de l’amphithéâtre.
Lépine a confié que les dernières paroles lucides de son conjoint ont été prononcées la nuit avant sa mort. Il lui disait qu’il allait endurer la douleur jusqu’au bout pour rester plus longtemps avec leurs deux fillettes, Simone et Pauline.
«La première chose qu’on a peur d’oublier de quelqu’un qui s’en va, c’est sa voix. Je pense qu’on va l’entendre encore longtemps», a-t-elle dit en échappant un petit rire.
Très émus, essuyant des larmes, les trois membres des Cowboys Fringants sont montés sur scène pour parler de celui qu’ils appelaient affectueusement «mon gros». Ils ont dû attendre plusieurs minutes avant de prendre la parole, tant le public les applaudissait.
Jean-François Pauzé, le guitariste qui a écrit et composé la majorité des chansons du groupe, a relaté que Tremblay avait fait preuve de beaucoup d’abnégation et de générosité dans les derniers mois en se produisant sur scène malgré la maladie qui avançait.
«Cet été, d’après moi, c’est pas juste pour lui qu’il a décidé de faire le plus possible de concerts (…) Je pense qu’il l’a fait beaucoup pour nous autres, pour ses vieux camarades, pour qu’on ait un dernier tour de piste, et il l’a fait aussi pour le public.»
Le bassiste Jérôme Dupras a quant à lui remercié son ami, qui aura malgré lui démontré que la nation québécoise est «belle» et «unie».
Le groupe a ensuite entonné la chanson qui a marqué tant d’esprits au Festival d’été de Québec, «Sur mon épaule», qui a été chantée en partie par le public comme c’était souvent le cas en spectacle.
Le premier ministre François Legault, qui avait offert à la famille d’organiser des funérailles nationales au lendemain du décès du chanteur, était présent sur les lieux pour saluer cet artiste qui a su «rassembler les Québécois autour de valeurs qui nous unissent».
«C’est incroyable ce qu’on a vu au Québec depuis son décès: une vague d’amour, de tristesse. C’est comme si des millions de Québécois avaient perdu quelqu’un de leur famille proche», a mentionné le premier ministre.
«C’est toute la nation québécoise qui se reconnaît dans Karl puis dans les Cowboys», a-t-il poursuivi.
«Rappeler les responsabilités» aux politiciens
Plusieurs personnalités de la classe politique ont participé à la cérémonie, elles qui ont souvent été critiquées par le groupe à travers le temps dans ses chansons. Mais elles ne leur en ont pas tenu rigueur.
«Ils le faisaient avec beaucoup d’honnêteté et d’intégrité et on pardonne tout dans ce temps-là. Et puis je me dis que de temps en temps, c’est pas mauvais de se faire brasser la cage», a soutenu l’ex-première ministre Pauline Marois à son arrivée au Centre Bell.
«Ils réussissent à nous rappeler nos responsabilités et le sens du devoir qui doit guider tout le monde (…) Cette forme d’intransigeance sur ce qu’il y a d’important, d’essentiel, elle est absolument requise et utile», a renchéri le chef péquiste Paul St-Pierre-Plamondon, dont le parti avait présenté une motion à l’Assemblée nationale plus tôt mardi pour rendre hommage au chanteur.
La nouvelle porte-parole féminine de Québec solidaire, Émilise Lessard-Therrien, a dit qu’au contraire, la musique des Cowboys Fringants l’avait encouragée à se lancer en politique.
«Moi ça m’a donné envie d’incarner les politiciens qu’on aimerait avoir au Québec. Les politiciens qui prennent soin du monde, qui prennent soin du territoire, qui ne sont pas à la solde de l’élite», a-t-elle témoigné aux côtés de son collègue Gabriel Nadeau-Dubois.
Hommages à l’Assemblée nationale
Plus tôt dans la journée, des députés des quatre partis se sont levés à l’Assemblée nationale pour souligner l’apport du chanteur à la société québécoise. Le Parti québécois a déposé une motion visant à reconnaître notamment sa «contribution exceptionnelle à la chanson québécoise et à la reconnaissance de celle-ci à l’étranger» et souligner son «courage et sa générosité» dans la maladie.
«Je sais que les politiciens sont pas tes personnes préférées», a reconnu la députée solidaire Ruba Ghazal.
«Mais je promets une chose: il y a pas une journée où je vais pas travailler, moi et mes collègues ici, à faire que le Québec devienne un pays qui se bat contre les inégalités», a-t-elle ajouté.
M. St-Pierre-Plamondon s’est d’ailleurs adressé aux Québécois pour qu’ils «mettent en œuvre ce qu’il a chanté».
«Occupons-nous de notre monde. Laissons une planète en meilleur état que nous l’avons reçue. Soyons fiers du Québec et soyons debout pour le défendre», a-t-il soutenu.
Le chef libéral Marc Tanguay a pour sa part témoigné de la manière dont les chansons des Cowboys Fringants l’ont touché dans sa vie personnelle, lui qui est de la «génération Passe-Partout» et qui dit avoir été particulièrement ému par la chanson «Les étoiles filantes».
«Je me rappellerai toujours d’un soir de 2004, je suis dans mon auto, c’est la fin de la journée. (…) J’ai une nouvelle « job », une nouvelle maison, Élisabeth notre plus vieille est née en janvier de cette année et j’entends à la radio la voix de Karl Tremblay», a-t-il relaté en récitant des paroles de la chanson.
Le député caquiste Samuel Poulin a aussi pris la parole pour dire à quel point le groupe avait marqué tout autant la jeune génération.
«Comme jeune homme, comme jeune femme, il était le reflet de nos angoisses, de nos peines, de nos questionnements. Il était aussi un allumeur de réverbères dans les doutes que la vie met sur notre route.»
Une minute de silence a ensuite été observée au Salon bleu.
Le drapeau à l’Assemblée nationale a été mis en berne toute la journée de mardi sur la tour centrale de l’hôtel du Parlement. Le pont Samuel-de-Champlain a également été illuminé en bleu et blanc pendant la soirée en hommage au chanteur.