La réforme des libérations sous caution est maintenant au Sénat
OTTAWA — Le représentant du gouvernement libéral au Sénat encourage la chambre haute à adopter «rapidement» le projet de loi sur la réforme des libérations sous caution, tout en reconnaissant que le portrait du régime actuel demeure incomplet.
Le sénateur Marc Gold a confirmé jeudi lors d’un débat à la chambre haute que le projet de loi sur la réforme des libérations sous caution serait étudié par un comité sénatorial, après que la Chambre des communes a donné lundi son consentement unanime pour adopter le projet de loi sans le processus de l’étude par les députés.
Le projet de loi a finalement été renvoyé au comité sénatorial des affaires juridiques jeudi après-midi, mais pas avant que de nombreux sénateurs expriment leurs inquiétudes quant aux effets potentiels du projet de loi. Ils s’inquiètent aussi du fait que les députés ont refusé de l’étudier article par article.
Le sénateur Percy Downe, de l’Île-du-Prince-Édouard, estime que les députés «ont baissé les bras» en précipitant les changements à la Chambre des communes sans examen plus approfondi. Il a déclaré que cela obligeait le Sénat à repartir de «zéro» dans son examen de la législation.
La décision d’accélérer l’adoption du projet de loi a également suscité l’inquiétude de groupes de la société civile, qui affirment que ses mesures pourraient aggraver la surreprésentation en prison des personnes noires et autochtones, et inciter davantage de personnes à plaider faussement coupables afin d’être libérées de la détention préventive.
Bon nombre des mêmes préoccupations ont été exprimées par les sénateurs.
«Je comprends l’élan émotionnel et politique qui pousse à accélérer l’adoption de ce projet de loi, mais je suis préoccupée par la vitesse à laquelle les choses évoluent, a déclaré jeudi Paula Simons, sénatrice de l’Alberta. Parce que nous traitons d’une question dans laquelle les libertés fondamentales des gens sont en jeu».
Les libéraux ont présenté ce projet de loi pour rendre plus difficile pour certains délinquants d’obtenir une libération sous caution, alors que les premiers ministres provinciaux et les chefs de police faisaient pression pour qu’Ottawa durcisse les lois existantes à la suite d’une série d’incidents violents très médiatisés impliquant des récidivistes.
Notamment, la mort par balle du constable Grzegorz Pierzchala à la fin décembre.
Des documents judiciaires montrent qu’un homme co-accusé de meurtre au premier degré dans cette affaire s’est vu refuser la libération sous caution pour des accusations d’agression et d’utilisation d’armes sans rapport avec la mort par balle de M. Pierzchala, mais a été libéré après un examen. Un mandat d’arrêt a été lancé contre lui après qu’il ne s’est pas présenté à une date d’audience des mois avant le meurtre de M. Pierzchala.
Le projet de loi libéral propose d’élargir les dispositions d’inversion du fardeau de la preuve pour certains délinquants.
Cela signifie qu’au lieu que la Couronne ait à prouver pourquoi une personne accusée d’un crime devrait rester derrière les barreaux en attendant son procès, la responsabilité incomberait à l’accusé de prouver pourquoi il devrait être libéré.
Le projet de loi, déposé en mai dernier avant les vacances d’été du Parlement, vise à étendre les mesures d’inversion de la preuve pour certaines infractions liées aux armes à feu et d’autres armes, ainsi que dans certaines circonstances lorsque le crime présumé implique des violences conjugales.
Données insuffisantes
Le sénateur Gold, qui plaide en faveur du projet de loi, souligne que le projet de loi du gouvernement libéral cible les personnes accusées de crimes violents et graves, mais il reconnaît qu’il n’y a pas suffisamment de données sur le régime actuel de libérations sous caution au Canada.
M. Gold a affirmé que de déterminer quel est l’impact de ce projet de loi ou celui qu’il aurait pu avoir est une question cruciale. Il estime qu’on ne dispose pas des données appropriées pour y répondre.
Certains sénateurs conservateurs ont exprimé leur inquiétude quant au fait que les mesures proposées ne couvriraient pas suffisamment d’infractions et devraient être renforcées pour mieux protéger les victimes potentielles d’actes criminels.
Mais la sénatrice Kim Pate a suggéré jeudi que les crimes violents très médiatisés qui ont conduit à des appels à une réforme de la liberté sous caution étaient des «valeurs aberrantes».
Mme Pate est l’ancienne directrice exécutive de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, qui milite en faveur d’une réforme de la justice pénale.
Elle a qualifié le projet de loi libéral de «loi sur le rendement» et a averti qu’il pourrait conduire à des «résultats discriminatoires» à l’égard des personnes noires, autochtones, atteintes de maladie mentale ou membres d’autres groupes vulnérables déjà surreprésentés dans les prisons provinciales.
«Qui ce projet de loi finira-t-il par emprisonner?» a demandé Mme Pate. Selon elle, le public devrait être «horrifié» par la volonté des élus de contourner le processus habituel d’étude d’un projet de loi.
Le ministre fédéral de la Justice, Arif Virani, qui a défendu plus tôt dans la semaine l’adoption rapide du projet de loi au Sénat, a déclaré jeudi dans un message sur les réseaux sociaux qu’il espérait que le projet de loi obtiendrait la sanction royale le plus rapidement possible.