Les employeurs ne devraient pas négliger l’apport de travailleurs avec une déficience

MONTRÉAL — Les temps sont durs pour de nombreux entrepreneurs en raison de la pénurie de main-d’œuvre, mais de plus en plus embauchent des personnes vivant avec une déficience intellectuelle et découvrent les qualités de ces employés.  

C’est l’expérience qu’a vécue Éric Audy, président de Lumentruss, avec Patricia Vigier et Sébastien Martin, qui ont tous deux un diagnostic de déficience intellectuelle.  

Il estime que les personnes ayant une déficience intellectuelle pourraient faire partie des solutions pour les entreprises qui peinent à recruter du personnel.  

Pour certaines tâches de travail, ils sont des employés de rêve, indique M. Audy. Et en même temps, cela leur permet de développer des compétences et de s’intégrer à la société.  

Patricia Vigier, 48 ans, et Sébastien Martin, 28 ans, sont des usagers de l’Atelier Edison, une ressource d’intégration pour les personnes adultes vivant avec une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme du CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.  

Il existe plusieurs paliers de cheminement à l’Atelier Edison. Le premier étant pour les usagers en perte d’autonomie, ensuite il y a des ateliers de travail, suivi du plateau de travail et des stages. Certains sont même engagés en bonne et due forme comme n’importe quel travailleur.  

Éric Laforge, chef en réadaptation, contexte de travail et communautaire au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, soutient qu’il n’y a jamais eu autant d’usagers qui sont embauchés à la suite d’un stage. «Quand l’appréhension du début tombe et que les employeurs voient que finalement ils n’ont pas besoin d’avoir quelqu’un à côté pour qu’il fasse sa tâche, que c’est un employé productif – parce que c’est important – à partir de ce moment, on voit leur qualité», souligne-t-il. 

Récemment, deux personnes vivant avec un trouble du spectre de l’autisme ont été engagées au sein du CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. Même si parfois ces individus sont assez rigides dans certaines choses, cela constitue en même temps leur plus grande qualité, explique M. Laforge. 

Les deux personnes autistes récemment embauchées s’occupent de la désinfection des salles d’opération. «Ils sont d’une minutie incroyable, les deux chefs de section qui gèrent ça, ils ne veulent pas qu’ils partent», assure-t-il. 

Des employés motivés

L’Atelier Edison se trouve dans le secteur industriel de l’arrondissement Anjou, à Montréal. Les locaux ressemblent à une usine avec des plans de travail où les usagers s’affairent à leur tâche.  

Linda Collette, éducatrice spécialisée qui travaille avec les usagers de l’Atelier Edison, a fait savoir qu’une dizaine d’entreprises leur donnent des contrats de travail sur une base régulière.  

Sur place, on peut voir certains usagers ensacher des étiquettes pour des fromages de l’entreprise Saputo, d’autres mettent des vis à béton dans des goupilles, ou encore certains séparent les composantes de cassettes VHS pour les renvoyer à MultiRecycle à des fins de recyclage.  

Des usagers vont travailler dans cet atelier jusqu’à leur retraite en raison de leurs limitations, mais plusieurs d’entre eux vont évoluer jusqu’à un plateau de travail et faire un stage au sein d’une entreprise. «Le travail permet d’augmenter l’estime de soi, explique Linda Collette. L’objectif, c’est qu’ils soient le plus autonomes possible, qu’ils s’accomplissent et qu’ils soient fiers, parce que quand on travaille l’autodétermination et l’estime de soi, on les met en succès.» 

Il n’y a pas si longtemps, Patricia et Sébastien travaillaient dans l’atelier, mais ils ont voulu relever un défi en allant chez Lumentruss, le voisin de l’Atelier Edison.  

Ils n’avaient pas nécessairement le «profil stage», qui correspond à des personnes assez avancées dans leur autonomie, explique M. Laforge. Mais puisqu’il y avait cette proximité entre les deux locaux, que les intervenants étaient littéralement à côté, que la compagnie a fait preuve d’ouverture et que les employés étaient bienveillants, le projet a pu se concrétiser avec succès. 

«Ça m’a tenté d’aller travailler de l’autre côté. J’avais envie de faire plus de travail. À côté, je produis quand même beaucoup», a mentionné Sébastien, visiblement fier du travail qu’il accomplit.  

Il admet qu’il était très nerveux lors de sa première journée de travail, mais que ce stress est vite disparu après avoir vécu un accueil chaleureux de la part de ses nouveaux collègues. 

«J’aime beaucoup travailler de l’autre côté parce que je m’entends super bien avec tout le monde, dit-il. Après chaque fin de journée, je suis content et j’ai déjà hâte au lendemain.» 

Patricia abonde dans le même sens. Elle explique qu’elle se sent comme chez elle lorsqu’elle travaille chez Lumentruss. «Avant c’était mes voisins, maintenant ce n’est plus mes voisins, c’est chez moi», se réjouit-elle.  

Malgré des journées de travail parfois épuisantes, Patricia dit qu’elle est fière de rentrer chez elle avec le sentiment du devoir accompli. Elle raconte à ses parents les tâches qu’elle a accomplies au cours de la journée.  

En plus de l’autonomie qu’ils acquièrent dans leur nouvel emploi, les deux camarades se sont fait de nouveaux amis. «Dans notre équipe, il y a une émotion de faire une différence pour eux», souligne le président de Lumentruss.  

De par ses expériences personnelles, M. Audy savait à quoi s’attendre en engageant Patricia et Sébastien, le côté positif tout comme les défis. 

Il constate que les personnes ayant une déficience intellectuelle apprécient de faire des tâches répétitives, ce qui démoralise souvent d’autres employés. «Ce sont des gens qui vont aimer et apprécier le faire. Tandis que quelqu’un qui est sur une chaîne d’assemblage, souvent il va seulement venir chercher son salaire, indique M. Audy. C’est un encadrement dans lequel ils sont bien. C’est sécurisant pour eux de ne pas être devant l’inconnu.»  

La plupart du temps, les employeurs ne savent pas que les personnes qui vivent avec une déficience intellectuelle ont de l’autonomie et n’ont pas besoin d’une gestion individuelle, fait valoir M. Audy. Une fois cette appréhension passée, on leur donne la chance de devenir de bons employés.  

Réforme de l’aide sociale  

Depuis le 1er janvier 2023, le Programme de revenu de base qui s’adresse à des personnes qui ont des contraintes à l’emploi sévères et persistantes est entré en vigueur au Québec. 

Cela permet entre autres aux personnes vivant avec une déficience de recevoir une plus grande prestation, soit un montant de base de 14 532 $ pour l’année.  

Mais le changement le plus important, selon M. Laforge, est que ces personnes peuvent travailler sans se faire totalement couper l’aide sociale. Ainsi, pour chaque dollar gagné qui dépasse 14 532 $, la prestation annuelle diminuera de 0,55 $.  

Il faudrait que les personnes ayant droit à la prestation gagnent plus de 46 000 $ annuellement pour perdre complètement l’aide sociale, soutient M. Laforge. C’est un obstacle de moins à l’embauche pour ces travailleurs, souligne-t-il.