Ottawa refuse de suivre les médicaments d’approvisionnement plus sécuritaire
OTTAWA — Le gouvernement libéral fédéral rejette une proposition du gouvernement de l’Alberta visant à envisager d’ajouter un «identifiant chimique unique» aux produits pharmaceutiques offerts aux utilisateurs comme alternative aux drogues illicites.
La ministre de la Santé mentale et des Dépendances, Ya’ara Saks, a écrit lundi à son homologue de l’Alberta pour lui dire que même si elle prend au sérieux ses préoccupations, la proposition de la province soulève des enjeux pratiques.
Les détracteurs du programme, y compris certains spécialistes de la toxicomanie, souhaitent que le gouvernement fédéral reconsidère son soutien à l’initiative, qui vise à offrir aux toxicomanes des produits pharmaceutiques comme l’hydromorphone comme alternative aux drogues illicites.
Les experts affirment que la crise des surdoses au pays est largement alimentée par un approvisionnement en médicaments de plus en plus toxiques. La majorité des décès par surdose enregistrés entre janvier et juin 2023 impliquaient le fentanyl.
On rapporte plus de 40 000 décès liés aux opioïdes depuis 2016, date à laquelle l’agence fédérale a commencé à collecter des statistiques sur le phénomène.
La Colombie-Britannique a été la première province à offrir aux consommateurs de drogues un approvisionnement en produits pharmaceutiques alternatifs grâce à des programmes dits «d’approvisionnement plus sécuritaire».
Après le début de la pandémie de COVID-19 en mars 2020, Ottawa a offert des fonds pour d’autres projets pilotes en Ontario et au Nouveau-Brunswick, invoquant le risque accru des restrictions et des perturbations de l’approvisionnement en médicaments liés à la pandémie.
Des médicaments dans la rue
Au cours de l’année qui a suivi, des intervenants ont averti que certains consommateurs de drogues participaient à des programmes d’approvisionnement plus sécuritaire, pour ensuite vendre leurs drogues dans la rue.
Le problème a été signalé par la docteure Bonnie Henry, responsable de la santé publique de la Colombie-Britannique, comme un «phénomène courant» dans son récent examen du programme d’approvisionnement plus sécuritaire de sa province.
L’ampleur du problème n’est pas claire, selon la docteure Henry, mais cela souligne à quel point ce programme présente un risque pour les personnes qui ne consomment pas déjà de drogues.
La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, a rejeté l’offre de telles options dans sa province, affirmant plutôt qu’elle se concentrait sur les options de rétablissement.
Les données provinciales montrent que les décès par surdose liés aux opioïdes en Alberta continuent d’augmenter.
Le ministre de la Santé mentale et de la Toxicomanie de l’Alberta, Dan Williams, a écrit au ministre de la Santé, Mark Holland, plus tôt ce mois-ci pour lui faire part de ses inquiétudes concernant l’approche de l’approvisionnement sécuritaire, demandant des «preuves concrètes» de son impact.
Il a suggéré d’exiger que tout médicament prescrit sous la bannière d’un approvisionnement plus sécuritaire comprenne un ingrédient supplémentaire, un «identifiant chimique unique qui permettrait de tester l’origine du médicament».
Un tel ajout permettrait aux autorités de savoir où aboutissent les approvisionnements détournés en médicaments, a soutenu M. Williams.
Des problèmes pratiques soulevés
Mais la lettre de la ministre Saks montre clairement qu’elle a des doutes.
«On ne sait pas exactement comment cela fonctionnerait dans la pratique, étant donné que ces médicaments ne sont pas fabriqués spécifiquement pour ces programmes et sont également utilisés à d’autres fins médicales telles que la gestion de la douleur», a-t-elle expliqué.
«J’ai demandé à mes responsables de contacter les vôtres pour discuter de certains des problèmes pratiques potentiels liés à cette proposition.»
Ottawa travaille avec des programmes d’approvisionnement plus sécuritaires pour s’assurer qu’ils disposent de stratégies d’atténuation, poursuit-elle – mais le gouvernement veut également lutter contre «les idées fausses et la désinformation» autour de la politique.
«L’idée selon laquelle ces programmes distribuent simplement des médicaments à n’importe qui est fausse», a-t-elle indiqué.
Seul un petit nombre de provinces proposent de tels programmes, qui «servent relativement peu de clients», note la lettre.
Dans une déclaration mardi, M. Williams a accusé la ministre Saks et le gouvernement fédéral d’ignorer les préoccupations de l’Alberta.
Peur et stigmatisation, selon la ministre
Dans une récente entrevue avec La Presse Canadienne, Mme Saks a rejeté les préoccupations des détracteurs de l’approvisionnement plus sécuritaire, les qualifiant de peur et de stigmatisation, ce qui a suscité une réponse sévère de la part d’un groupe de médecins et d’experts en toxicomanie.
«S’il vous plaît, n’utilisez pas la stigmatisation et la peur pour justifier les dommages causés par le détournement de médicaments plus sécuritaires», ont-ils déploré.
«Les drogues de rue ne devraient pas être fournies par des programmes financés par le gouvernement. Le financement des programmes de réduction des risques doit être conditionné à des pratiques sûres», y compris une supervision appropriée, ont-ils prévenu.
Un porte-parole de la ministre Saks a déclaré que la ministre continuerait d’examiner diverses opinions, soulignant qu’elle et des responsables de Santé Canada ont récemment rencontré certains des médecins qui s’opposent à l’initiative.