Trudeau présentera aux provinces une offre «substantielle» et des accords bilatéraux

OTTAWA — Le premier ministre Justin Trudeau offrira aux provinces une augmentation «substantielle» du Transfert canadien en matière de santé et des fonds supplémentaires si elles acceptent de conclure des ententes individuelles ciblant des problèmes spécifiques de leur système.

Un haut responsable du gouvernement bien au fait du plan fédéral a déclaré que M. Trudeau présenterait une offre sur 10 ans, mardi, lors de sa rencontre avec les 13 premiers ministres des provinces et territoires, à Ottawa.

La Presse Canadienne a accepté d’accorder l’anonymat à ce haut responsable parce qu’il n’était pas autorisé à parler publiquement du dossier. 

Selon cette source, l’offre fédérale comprendra une hausse du Transfert canadien en matière de santé, qu’Ottawa envoie aux provinces chaque année en fixant très peu de conditions. Ottawa a ainsi transféré cette année 45 milliards $, ce qui équivaut à 22 % du budget des provinces pour les soins de santé.

Les premiers ministres des provinces et territoires demandent que cette participation du fédéral passe à 35 %, ce qui aurait nécessité cette année 26 milliards $ de plus en transferts fédéraux.

M. Trudeau offrira plus d’argent aux provinces qui voudront conclure des ententes bilatérales dans des secteurs spécifiques, et avec des mesures de responsabilité telles que la fixation d’objectifs d’amélioration et le partage de données.

Le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, a déjà déclaré que les domaines prioritaires du gouvernement fédéral comprennent l’amélioration de l’accès à un médecin de famille, de meilleurs soins en santé mentale, la réduction des délais d’attente pour une chirurgie et une amélioration massive de la collecte et du partage des données.

L’offre fédérale sera rendue publique, mais pas avant d’avoir été présentée aux premiers ministres mardi. La première ministre du Manitoba, Heather Stefanson, qui est présidente cette année du Conseil de la fédération, a déclaré lundi qu’il était frustrant que les premiers ministres n’aient pas encore vu de détails de l’offre.

«Si nous l’avions eu à l’avance, nous aurions pu avoir une discussion plus approfondie demain [mardi], il n’y a pas de doute», a-t-elle déclaré. 

Elle n’a pas voulu préciser si les premiers ministres seraient souples sur leur demande de 35 %, ou à quelles concessions ou conditions ils seraient ouverts. «Nous voulons voir à quoi ressemblera la proposition, a-t-elle déclaré. Nous allons entrer avec un esprit ouvert, puis nous partirons de là.»

«Pas de conditions», rappelle Legault 

À son arrivée lundi après-midi à Ottawa, le premier ministre François Legault s’est dit heureux de rencontrer M. Trudeau «enfin (…) après deux ans» et d’«avoir une proposition» du gouvernement fédéral sur la table. 

«Maintenant, on va voir le montant. On a demandé que ça soit une proposition sans condition, donc on va savoir ça demain. Puis nous, les premiers ministres, on se rencontre ce soir, puis on a toujours un beau front commun, a indiqué M. Legault en mêlée de presse. 

«Je vais attendre de voir demain (mardi) avant de vous dire si je suis optimiste ou pessimiste. Avant Noël, il m’a dit que ça regardait bien puis que le montant serait substantiel, donc j’ai hâte de voir ça.»

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a indiqué lundi qu’il se mettait «dans la peau» du «vrai monde» dans ce dossier.

«Ce qui devrait être notre motivation fondamentale dans cet exercice-là, c’est de livrer rapidement des services, services qui présentement sont livrés par les provinces et le Québec», a-t-il dit dans le foyer de la Chambre.

M. Blanchet implore les premiers ministres de ne pas en faire «une « game » de pouvoir ou des enjeux de juridiction» autour de la table. «J’en appelle à l’humanité des acteurs dans ce dossier-là pour que les gens qui sont présentement sur des civières ou en attente de chirurgie s’endorment mieux demain soir qu’ils se sont endormis ce soir.

«Le gouvernement fédéral retient de l’argent pour obliger les provinces à accepter une ingérence dans une juridiction du Québec et des provinces. Ça reste inacceptable. Ça ne sert pas l’intérêt des gens qui souffrent, qui ont peur et qui attendent», a estimé le chef bloquiste.

Le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, a déclaré lundi que «tout accord qui n’inclut pas d’engagements clairs d’embaucher plus de travailleurs de la santé de première ligne serait un échec».

Les conservateurs ont hésité à commenter avant de voir l’offre de M. Trudeau, mais ils s’inquiètent des coûts.

D’ici le budget du printemps ?

M. Trudeau a déclaré que son gouvernement ne s’attendait pas à signer le même accord avec toutes les provinces. «Nous reconnaissons que différentes provinces ont des besoins différents et des priorités différentes, et que la flexibilité est une partie importante de notre responsabilité», a-t-il déclaré lundi.

Après les pourparlers de mardi, M. Duclos et les ministres provinciaux de la Santé se réuniront pour continuer à régler les détails. Il n’y a pas de date limite précise, mais on espère qu’une nouvelle entente sera en place avant le prochain budget fédéral, qui est généralement déposé au début du printemps.

La source fédérale a déclaré que l’une des principales demandes d’Ottawa est que les provinces conviennent d’indicateurs communs et de la collecte et du partage de données, tant avec les autres provinces qu’avec les Canadiens, afin de pouvoir mesurer les progrès réalisés.

Des résultats, sans quoi…

L’ancienne ministre de la Santé Jane Philpott, qui était en charge du dossier en 2017 lors des dernières négociations fédérales-provinciales, a déclaré lundi qu’il s’agissait d’un élément essentiel de tout plan réussi.

En 2017, Ottawa avait signé des ententes bilatérales avec chaque province et territoire pour verser 11,5 milliards $ sur 10 ans afin d’améliorer les soins de santé mentale et les soins à domicile. Ces ententes comprenaient un accord selon lequel les provinces rendraient compte annuellement de certains indicateurs communs. Bien que cela se soit produit, les données sont souvent incomplètes et il est difficile d’évaluer les progrès.

«En y repensant, je dirais que ces accords n’étaient pas aussi spécifiques qu’ils auraient pu l’être, et je pense que c’est la leçon à tirer de cette ronde», a déclaré Mme Philpott.

«Lorsque le gouvernement fédéral met plus d’argent sur la table, il doit y avoir une reddition de comptes sur la façon dont cet argent est dépensé. Je pense que cette fois, je conseillerais d’être beaucoup plus précis sur ces attentes — et peut-être même d’utiliser des outils législatifs pour pouvoir s’assurer que les résultats seront ce qu’ils doivent être.»

Mme Philpott pense même que le gouvernement fédéral pourrait récupérer des sommes transférées si les provinces ne respectaient pas leurs obligations.

L’ex-ministre croit qu’un des objectifs, difficile certes, serait de s’assurer que d’ici cinq à sept ans, chaque Canadien ait accès à un médecin de famille ou du moins à une équipe de soins de première ligne. Mais pour ce faire, dit-elle, il faudrait en savoir beaucoup plus sur le nombre de médecins au Canada, où ils se trouvent et combien d’heures ils travaillent.