La troisième vie de Jean-François Blais

SHAWINIGAN. Persévérance, détermination, courage… ces mots deviennent des euphémismes lorsqu’on décrit le récit des différentes vies vécues par Jean-François Blais.

Le Shawiniganais de 42 ans a bien voulu partager son histoire, question de pouvoir inspirer d’autres personnes. Aujourd’hui, il s’entraîne pour compléter des triathlons alors qu’il y a à peine deux ans, il était incapable de marcher.

Une première vie dans les Forces armées canadiennes

Enfant, Jean-François Blais a toujours su qu’il allait entreprendre une carrière dans l’armée. «Je suis venu au monde pour ça. J’avais 4 ans et je savais que j’allais être un soldat. Je creusais déjà des tranchées. Je jouais avec les bonhommes d’armée parachute et je disais que j’allais être parachutiste un jour. J’ai été dans les louveteaux, les cadets et ainsi de suite.»

Le Shawiniganais s’est enrôlé à l’âge de 16 ans. Il a pris part à plusieurs missions dont plusieurs fois au front. «Il y a beaucoup de choses dont je ne peux parler. J’ai fait des missions pour l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) et pour les Nations-Unies. Il y a des épisodes dont je ne me rappelle plus, ou que je veux laisser derrière. J’ai eu un syndrome post-traumatique. J’ai des médailles et des photos que j’ai, et que c’est tout ce dont je me souviens.»

Le combattant est demeuré dans l’armée jusqu’à l’été 2005 alors qu’un grave accident de la route met fin à la première vie de celui qui était surnommé le blaireau par ses frères d’armes. Pourquoi le blaireau? «Ça vient de mon nom de famille Blais, et parce qu’un blaireau ce n’est pas tuable.»

«Je cours tout croche, je pédale tout croche, je nage tout croche, mais j’avance. Si je veux faire la même distance qu’une personne, ça va me prendre trois fois plus de temps, mais je le fais.» -Jean-François Blais

Une deuxième vie dans la souffrance

Le 9 juillet 2005, alors qu’il se trouvait en Alberta, Jean-François et sa femme de l’époque ainsi que le garçon de sa femme, se dirigent vers la plage pour profiter de la journée. À bord d’une moto, alors qu’il tente de dépasser la voiture de sa conjointe, un automobiliste décide de tourner vers la gauche sans clignotant.

«Je suis rentré dedans à plus de 100 km/h. J’ai perdu mon bras gauche et ma jambe gauche s’est complètement arrachée. Il n’y avait plus d’os. J’ai glissé 400-500 pieds sur l’asphalte et je suis rentré dans une clôture, raconte-t-il. Je suis mort trois fois-là. Je me suis donné moi-même les premiers soins. Quand les ambulanciers sont arrivés, j’étais debout sur une patte et je m’étais fait des garrots. C’était le soldat dans ma tête qui devait faire la job. J’ai perdu 80% de mon sang.»

Durant deux ans, Jean-François est demeuré dans les Forces armées en Alberta pour de la réhabilitation. «Ils ne savaient pas trop quoi faire avec moi. J’ai eu des centaines d’heures d’opération. Ils m’ont retourné à Valcartier mais là-bas, comme je ne pouvais plus m’entraîner, ils m’ont renvoyé chez moi. J’étais sur les assurances des anciens combattants. Les docteurs me disaient que je ne marcherais plus jamais. Personne ne voulait m’opérer comme c’était trop compliqué. Puis j’ai trouvé un chirurgien orthopédique à Québec. Il m’a rafistolé d’un bout à l’autre. J’ai 80% de mon corps en métal. Ils ont pris un muscle du quadriceps à droite pour le greffer à ma jambe gauche. J’ai une jambe de 7 cm plus courte que l’autre. Ces muscles ne devaient plus fonctionner.»

Jean-François Blais confie avoir pris des médicaments pendant des années, qui l’amenaient à dormir des 20h chaque jour et à ne plus rien faire.

«J’ai eu des suivis psychiatriques à l’hôpital Sainte-Thérèse. Puis 10 ans plus tard, on m’a dit que mon corps se réparait et les médecins ne comprenaient pas pourquoi. Ça n’est pas rentré dans l’oreille d’un sourd. J’étais rendu à 270 livres. Ça prit 1 an et demi et j’ai tassé tous les médicaments, la drogue et la boisson.»

Une troisième vie, un pas à la fois

Tranquillement, le miraculé s’est remis doucement à l’exercice.

«Je marchais pour aller à la salle de bain, porter les poubelles dehors. Comme je voyais que j’étais capable, je le faisais 50 fois. Je marchais tous les jours, un tour du carré, puis deux, puis trois. Puis ma fille Jasmine a vu le club Trinergie s’entraîner pour du triathlon, elle avait des étoiles dans les yeux. Alors, j’ai commencé à faire du vélo, mais ce n’est pas évident juste d’une main. Mes jambes se sont bâties, et à un moment, je me suis dit que je devais commencer à courir.»

Commencer à courir, le même principe que pour commencer à marcher.

«Le mois passé, j’ai fait 101,5 km sur le tapis roulant en 15h23m. Je suis en douleur tout le temps. Je ne fais rien, j’ai mal, et je bouge, j’ai mal. Alors je serre les dents et je bouge. Je me couche à 20h chaque soir brûlé raide, mais avec un gros sourire dans la face! Ç’a pris du temps, mais j’ai tout trouvé mon matériel adapté pour pouvoir faire du triathlon. Les forces armées m’ont aidé pour m’acheter un vélo adapté.»

M. Blais affirme faire tout cela pour être l’exemple pour ses filles Mia 11 ans, et Jasmine 12 ans. D’ailleurs, cette dernière s’est inscrite dans le profil triathlon de l’académie des Estacades pour débuter son secondaire en septembre prochain.

En juin prochain à Montréal, Jean-François participera au para Triathlon mondial groupe Copley. En 2022, il veut prendre part aux Jeux de la vaillance du Canada, des jeux nationaux en l’honneur des militaires et des anciens combattants malades et blessés. En passant différentes étapes, il peut même se qualifier pour les paralympiques. «Ce n’est pas mon objectif, si ça arrive, ça arrive. Mon but c’est de montrer l’exemple à mes filles. Quand on veut, on peut, mais c’est dans la tête que ça se passe. J’utilise tout ce que j’ai appris dans l’armée, ne jamais abandonner.»

Le père et ses deux filles.