Le coup de poing à la tête de Jacques Mailhot

HOCKEY. Originaire de Shawinigan, Jacques Mailhot est un dur à cuire ayant disputé plus de 600 matchs au hockey professionnel et livré environ 300 combats en carrière. Comme plusieurs anciens joueurs, il doit maintenant vivre avec des séquelles au cerveau, lui qui indique avoir subi une douzaine de commotions cérébrales en moyenne par année en 14 saisons.

Au mois d’août 2016, Jacques Mailhot a publié sur sa page Facebook un vibrant témoignage contre l’encéphalopathie traumatique chronique (ETC), ce mal reconnu par les médecins concernant les personnes ayant subi des commotions cérébrales à répétition. Maintenant âgé de 54 ans, l’homme qui réside à Austin au Texas doit désormais prendre des médicaments que l’on donne aux personnes ayant la maladie de l’Alzheimer.

«Je veux que les gens sachent avec quelles séquelles nous vivons. Plusieurs anciens joueurs et même des joueurs actuels vivent avec l’ETC. Pendant une période de 4 à 5 mois, ç’a été vraiment difficile pour moi et je me suis retrouvé à l’hôpital. Je n’avais pas les idées claires et j’ai pensé au suicide. Ce n’est pas facile de parler de ça. Les durs à cuire sont vus comme des personnes indestructibles, mais il y a beaucoup de douleur qui se passe à l’intérieur. Si tu te casses un bras, tu vas avoir un plâtre, si tu es coupé, tu vas avoir des points de suture, mais une blessure au cerveau, personne ne la voit. Je voulais que les gens réalisent que le problème existe.»

C’est en novembre 2015 que de violents maux de tête ont commencé. Depuis qu’il est suivi par des neurologues, sa médication lui permet de mieux fonctionner.

Avant de voir apparaître les maux de tête, Jacques Mailhot n’avait pas fait le lien entre tous les joueurs de la LNH qui avaient subi des dépressions et qui se sont suicidés ou qui ont fait une surdose d’alcool, de drogues ou de médicaments comme Wade Belak, Bob Probert, Reggie Flemming, Derek Boogaard ou Rick Rypien. «J’ai commencé à m’intéresser au phénomène de l’ETC lors du décès de l’ancien joueur des Chargers de San Diego Junior Seau dans la NFL. J’ai fait des recherches suite à son suicide et j’ai commencé à faire des liens. L’ETC était déjà connu dans le monde du sport et dans les années 1920, on appelait ça la maladie du boxeur. La LNH était au courant de cette maladie au cerveau suite à plusieurs commotions, mais elle n’a jamais rien fait pour protéger les joueurs à l’époque. C’est pour cette raison qu’environ 430 joueurs font partie de la poursuite contre la LNH. Et ce n’est pas pour faire de l’argent, mais pour se faire soigner et avoir du soutien.»

M. Mailhot souligne que les souvenirs de sa carrière disparaissent peu à peu. Lorsqu’il était joueur, il lui arrivait souvent de revenir au banc et de ne plus se rappeler ce qui s’était passé sur la glace. «L’équipe ne prenait pas le temps d’évaluer l’impact. Il fallait dire combien on voyait de doigts et ça finissait là. Ce n’était pas nécessairement après une bagarre. Ça pouvait m’arriver après avoir reçu une bonne mise en échec.»

Les circuits comme la NFL et la LNH ont pris des actions dans les dernières années afin de diminuer les coups à la tête. Comment M. Mailhot voit-il ces actions? «L’important, c’est d’en parler. Si on n’en parle pas, les gens ne sauront pas que ce problème existe. Les dirigeants connaissent le problème et les conséquences. Il y a un protocole en place et le joueur ne peut pas revenir tout de suite sur la patinoire. C’est encourageant de voir ça, ça n’enraye pas les commotions, mais au moins ça prévient les dommages pour le futur.»  

Son premier combat dans la LNH

Le métier de dur à cuire a bien changé. Aujourd’hui, ce rôle n’existe pratiquement plus dans la LNH. Par contre, cela peut entraîner des mises en échec encore plus dangereuses selon M. Mailhot. Alors qu’il jouait pour les Nordiques, le Shawiniganais raconte son premier combat contre Tim Hunter des Flames de Calgary. «Peter Stastny était ciblé. Je suis allé voir Theoren Fleury qui jouait son premier match, et je lui ai dit que j’allais le sortir si ça continuait à jouer de même. Lui n’avait rien fait. À ma deuxième présence, Tim Hunter était à côté de moi. On s’est battu, le message a été passé, et après ç’a été une partie propre. Aujourd’hui, tu ne vois pas ça, parce que le rôle est éliminé. Le système de policier fonctionnait pour protéger les joueurs étoiles. C’est bien plus dangereux une mise en échec par-derrière qu’un coup de poing. Mais je ne suis pas en faveur des bagarres dans la LNH, mais en faveur des policiers. Plusieurs hommes forts étaient excellents au hockey, par exemple Bob Probert.»

Les solutions

À 6’3″ et 220 livres, Jacques Mailhot avait un physique imposant pour l’époque. Aujourd’hui, il se trouverait dans la moyenne. «Les joueurs aujourd’hui sont plus gros, plus forts, mieux entraînés, ils patinent plus vite, et l’équipement plus sophistiqué. La meilleure solution pour moi de diminuer de beaucoup les commotions serait de faire jouer les gars sur une patinoire de dimension internationale. En ayant plus d’espace, ça serait encore plus difficile de frapper un joueur. Mais des blessures il y en aura toujours.»

La fierté

M. Mailhot a toujours de la famille à Shawinigan, et pour lui, c’est une fierté de dire qu’il est l’un des Shawiniganais à avoir atteint la LNH, au même titre que Jean, André et Marcel Pronovost, Jacques Plante, Martin Gélinas, Michaël Bournival et autres. «Je n’étais pas le plus talentueux, mais j’avais du cœur au ventre. Pas beaucoup de gens me voyaient dans la LNH, mais je l’ai fait pareil. Je suis fier de ce que j’ai fait, je ne renie pas mes racines même si je n’aurais pas un aréna à mon nom», soutient-il en riant.

La carrière de Jacques Mailhot

-14 saisons au hockey professionnel pour 23 équipes

-5 matchs dans la NHL avec les Nordiques de Québec en 1988-1989

-Quelque 300 combats

-en 614 rencontres, il a cumulé 3762 minutes de punitions

Plus de risques à long terme après trois commotions

Philippe Fait est professeur-chercheur spécialiste en commotions cérébrales au Département des sciences de l’activité physique de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Il est également responsable du comité médical de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LJHMQ) en plus de travailler sur le protocole des commotions de la Ligue canadienne de hockey (LCH).

«Ce qu’on sait, c’est que quelqu’un qui a déjà subi des commotions cérébrales a plus de chances d’en subir d’autres pour le reste de sa vie. Aussi, statistiquement, après trois commotions, il y a plus de risques de conséquences à long terme.»

On parle de risques de dépression, de déclin de la mémoire, des capacités d’apprentissage, de l’attention et de la vitesse d’exécution, bref, d’un déclin cognitif et moteur qui peut apparaitre avec le temps. «Pas juste à la soixantaine, ajoute-t-il, on peut voir plus de chances de développer des symptômes de dépression chez des patients jeunes.»

M. Fait ajoute toutefois un bémol au diagnostic d’encéphalopathie traumatique chronique que semble avoir reçu M. Mailhot. «Il peut avoir tous ces symptômes sans que ce soit nécessairement l’encéphalopathie traumatique chronique», précise-t-il. «On ne peut confirmer ce diagnostic seulement lorsque la personne est décédée, avec une coloration du cerveau.» (M.L.)